Avr 29 2010

Pour une réponse européenne à la traite des enfants.

Tribune publiée dans La Croix, le 13 avril 2010

Depuis la fin des années 1990, notre pays est confronté à une forte hausse du nombre de mineurs étrangers isolés qui souhaitent entrer ou qui séjournent sur notre territoire. Le nombre de mineurs étrangers non accompagnés sur le sol français est aujourd’hui évalué entre 3 000 et 5 000.

Ces enfants sont roumains, essentiellement, mais aussi chinois, afghans, maliens ou roms originaires d’ex-Yougoslavie. Tous ont quitté leur pays en quête d’avenir dans un Occident largement idéalisé. Certains ont choisi de partir, d’autres y ont été poussés par les circonstances, d’autres enfin sont victimes de filières qui les exploitent et organisent une véritable traite des enfants.

Complice ou victime, leur famille ne remplit plus son rôle de protection. Vulnérables face aux réseaux d’exploitation, exposés à un basculement dans des comportements délinquants, ces mineurs sont un véritable défi pour nos valeurs morales républicaines : comment concilier l’impératif du respect de la loi et celui de la protection de l’enfance ?

La réponse est partiellement dans le pays d’origine. Lorsqu’il est membre de l’Union européenne, comme la Roumanie, ou en voie de le devenir, comme les États des Balkans occidentaux, il est possible d’établir une coopération afin de renforcer la prévention, de soutenir le développement local de la protection de l’enfance et de lutter en amont contre les réseaux.

L’accord franco-roumain signé en 2002 en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français constitue un bon exemple. C’est cet accord, arrivé à expiration en 2005, qu’un projet de loi, déposé en 2008 au Sénat, propose de renouveler, en renforçant, à la demande insistante des autorités roumaines, très impliquées sur ce dossier sensible, l’aide bilatérale, notamment par l’échange de policiers et de magistrats.

La réponse est aussi sur notre territoire. Elle doit reposer sur une lutte beaucoup plus résolue et intense contre les réseaux d’exploitation. La menace que représentent ces réseaux, ce n’est pas seulement le séjour irrégulier sur le territoire ou les menus larcins, par ailleurs très lucratifs, c’est surtout la traite, l’exploitation financière et souvent aussi sexuelle de ces mineurs pris dans un engrenage de dépendance qu’il faut absolument réprimer, avec une réponse pénale de la plus grande fermeté.

Avec ces mineurs, il faut établir le contact et faire renaître une confiance souvent anéantie à l’égard des adultes et des institutions. À l’exemple du travail accompli avec les mineurs roumains par les permanents de « Hors la rue », il est certain que le tissu associatif, le mieux à même d’intervenir, doit être mobilisé et soutenu dans ses contacts de terrain avec ces jeunes, dans leur souci de leur apporter une écoute, des conseils ou encore une formation professionnelle, première étape vers une intégration ou un retour au pays réussi.

Les institutions aussi ont un rôle à jouer : il faut clarifier les rôles entre l’aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse ; il faut mettre en place des plateformes régionales avec des interprètes, cellules d’accueil et d’orientation, avocats spécialisés et administrateurs ad hoc. Il faut aussi protéger l’identité de ces mineurs, renforcer la sécurité de ces foyers, en nombre d’ailleurs insuffisant, d’où l’on fugue à peine arrivé et où les réseaux retrouvent sans difficulté ceux qui ont pu leur échapper et parfois même les dénoncer. Nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité de protéger ces jeunes. Un placement dans des familles d’accueil sélectionnées, avec un accompagnement psychologique et éducatif adapté, leur permettrait pourtant de mieux se reconstruire à l’abri de leurs exploiteurs.

Compte tenu de la mobilité accrue de ces mineurs étrangers isolés et de l’allongement de leur parcours d’errance, la réponse est à l’évidence à construire au niveau transversal et européen : l’Italie, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore l’Allemagne rencontrent les mêmes difficultés. Il est impératif de bâtir un système renforcé d’échanges d’informations, de suivi des chemins migratoires et d’harmonisation des procédures.

Ce n’est qu’ensemble que nous arriverons à construire une politique à l’égard des mineurs étrangers isolés qui conjugue efficacement une répression féroce à l’égard des réseaux et une réponse humaine à l’égard d’étrangers qui sont avant tout des mineurs nécessitant une protection.

(1) Joëlle Garriaud-Maylam est rapporteur du projet de loi sur l’accord franco-roumain relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français et à leur retour dans leur pays d’origine ainsi qu’à la lutte contre les réseaux d’exploitation concernant les mineurs.