Mai 21 2013

Coopération européenne en matière de litiges familiaux transfrontaliers

Question orale n°243 du 21 mai 2013 :

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la question n° 243, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la garde des sceaux, je suis heureuse d’avoir enfin l’occasion de vous interroger sur les litiges familiaux transfrontaliers, un sujet sur lequel j’ai déposé une question écrite il y a près d’un an. J’avais également déposé une question écrite sur l’exécution par la France d’un mandat d’arrêt allemand émis pour recouvrer une créance alimentaire d’environ 5 000 euros ; cette question est restée également sans réponse. Je perçois dans ces retards une certaine gêne, qui me semble injustifiée.

En pointant les drames humains engendrés par les divorces transfrontaliers, je ne cherche en aucune façon à stigmatiser tel ou tel État. Je me réjouis d’ailleurs qu’une grande partie des divorces binationaux se résolvent sans drame. Restent des cas, minoritaires mais dramatiques, dans lesquels des enfants sont coupés de tout lien avec l’un de leurs parents. Éluder les problèmes est une attitude qui ne me semble pas responsable ; elle mène inévitablement à un pourrissement auquel, profondément pro-européenne, je ne peux me résoudre.

Madame la garde des sceaux, vous m’avez écrit que « la coopération entre les autorités centrales françaises et allemandes est excellente ». Cette excellence ne viendrait-elle pas d’une tendance de l’autorité centrale française à se déclarer non compétente sur certains dossiers difficiles et à considérer comme forcément légitime toute requête allemande ?

Je ne peux que m’interroger devant les multiples cas qui me sont rapportés. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’énumérer les problèmes récurrents, mais je voudrais souligner que ces problèmes ont été soulevés par des parents de toutes nationalités au sein d’instances internationales comme le Parlement européen et le Comité des droits de l’homme de l’ONU. La France serait-elle donc seule à juger qu’il n’y a pas de problème ? Combien faudra-t-il encore de vies brisées et de procédures kafkaïennes avant que notre pays ne réagisse ?

L’Allemagne n’est pas le seul État concerné. Du reste, il ne s’agit nullement de dénigrer les pratiques de nos partenaires, mais d’œuvrer en faveur d’une harmonisation minimale des législations familiales.

Certes, le droit de la famille constitue une prérogative souveraine des États, mais le principe juridique de l’intérêt supérieur de l’enfant est inscrit dans le droit international. Maintenir des contacts personnels avec les deux parents, la fratrie et les grands-parents constitue un droit fondamental des enfants, de même que le droit d’être élevé dans le respect des deux langues.

Les accords européens Bruxelles II bis et Rome III ont constitué une avancée appréciable en limitant les possibilités de recours au tribunal le plus avantageux. Seulement, ils ont aussi des effets pervers, dans la mesure où ils permettent l’application automatique des décisions d’un autre État de l’Union européenne. N’aurait-il pas fallu construire un socle minimal commun en matière de justice familiale avant de supprimer les exequatur ? Quelle est la volonté de la France de pousser à des efforts d’harmonisation des justices familiales en Europe ? Concrètement, dans quelles instances ces négociations pourront-elles se dérouler ?

Compte tenu des tensions observées au Parlement européen lorsque ce thème a été abordé, ne serait-il pas opportun de créer une plateforme favorisant un travail serein mais franc, en bilatéral ou en multilatéral ? Je pense, par exemple, à une commission rassemblant des responsables des administrations concernées, des professionnels de la justice familiale et des parlementaires, ainsi que les Défenseurs des droits et des enfants des États concernés ; elle pourrait travailler à la convergence des législations et des pratiques, mais aussi favoriser un déblocage des dossiers les plus sensibles, par exemple quand des autorités étrangères refusent de reconnaître des décisions de justice françaises.

Organiser des coopérations entre professionnels de la justice familiale des différents États membres pourrait également favoriser une harmonisation par le bas.

Par ailleurs, des efforts pourraient être menés à l’échelle franco-française. En particulier, un contrôle de proportionnalité pourrait être instauré avant l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Certes, un tel contrôle n’est pas explicitement prévu par la réglementation européenne ; mais plusieurs pays l’appliquent, répondant en cela aux inquiétudes de la Commission européenne devant la multiplication des mandats d’arrêt européens pour des infractions mineures.

De même, un interlocuteur pourrait être désigné pour accompagner les parents dans les méandres de la coopération judiciaire internationale et les orienter vers des organismes adaptés lorsque l’autorité centrale s’estime non compétente. Dans de nombreux cas, en effet, les parents ne trouvent pas auprès de cette autorité le soutien et l’orientation dont ils ont besoin.

Aujourd’hui, 13 % des couples européens sont binationaux et cette proportion ne cesse d’augmenter ; l’enjeu est donc considérable. Nous ne pouvons plus fermer les yeux : les enfants d’aujourd’hui feront les adultes de demain, en Europe !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je suis profondément désolée que nous ne puissions nous rencontrer qu’aujourd’hui pour traiter de la question que vous soulevez. Cependant, vous le savez, je n’ai aucune influence sur le calendrier des travaux du Sénat.

C’est avec plaisir que je m’apprête à vous répondre, encore que j’aie noté que votre question a substantiellement changé de contenu. En effet, dans le texte de la question orale tel qu’il a été enregistré, vous évoquiez essentiellement les pétitions présentées devant le Parlement européen, qui mettent en cause l’Office allemand pour la protection de la jeunesse, dont les décisions se révèlent insatisfaisantes.

Vous êtes aujourd’hui dans une autre « dynamique », puisque vous proposez la mise en place d’une commission et d’un certain nombre de dispositifs permettant de traiter plus efficacement, de façon bilatérale ou multilatérale, ces situations. Vous l’avez dit vous-même, et je le confirme, la question concerne non pas uniquement l’Allemagne, mais, d’une manière générale, tous les pays.

Nous avons évidemment le souci de l’harmonisation du droit, dont l’absence peut peser sur les familles concernées.

Nous avons des principes juridiques communs, en l’occurrence ceux de la convention internationale des droits de l’enfant, que la France a signée et ratifiée. Aux termes de l’article 9 de cette convention, il est explicitement précisé que, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, des liens directs et réguliers sont maintenus avec le parent absent.

En revanche, nous n’avons pas un droit de la famille commun avec nos partenaires de l’Union européenne, tout simplement parce que ce droit ne relève pas de la compétence de celle-ci. L’Union européenne ne peut donc pas concevoir un instrument juridique qui s’imposerait à tous les États.

Nous avons avec l’Allemagne quelques accords bilatéraux ; je pense notamment à celui qui concerne le régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts. Toutefois, en matière d’autorité parentale, rien de tel n’existe, compte tenu de la réelle difficulté à prendre en compte dans ce cadre les éléments liés à l’histoire, à la culture et à la sociologie des différents pays. Vous connaissez suffisamment le sujet, madame la sénatrice, pour avoir sur ce point la même appréciation que moi !

Pour autant, nous ne sommes pas démunis, même si j’ai bien entendu le jugement en demi-teinte que vous portez sur nos instruments européens et internationaux. Nous pouvons bien évidemment nous appuyer sur la convention de La Haye relative à l’enlèvement d’enfants, qui permet à la juridiction du pays où l’enfant a été déplacé de décider de son retour immédiat ou de prendre des mesures destinées à assurer la protection du droit de visite.

Cette convention internationale de 1980 a été complétée par un règlement européen adopté en 2003, dit Bruxelles II bis, que vous avez évoqué. Ce texte prévoit la compétence de la juridiction en question, ainsi que la reconnaissance et l’exécution de ses décisions, en matière aussi bien matrimoniale que d’autorité parentale. Il s’agit malgré tout, d’une certaine manière, d’une norme juridique commune, dans la mesure où ce règlement s’impose à tous les pays européens. Il permet notamment de prévenir certains risques de décision contradictoire et de garantir la « circulation » des décisions entre les États.

Enfin, nous disposons de la convention de La Haye de 1993, selon laquelle l’autorité parentale définie dans un pays est maintenue en cas de déménagement dans un autre pays.

Mais j’ai bien conscience, madame la sénatrice, que vous connaissez tous ces dispositifs aussi bien que moi.

Sur le plan pratique, je peux simplement vous confirmer nos efforts d’harmonisation. Ils ne peuvent toutefois se faire, à l’heure actuelle, que dans le cadre de Bruxelles II bis.

Il existe tout de même une certaine contradiction entre le nombre de pétitions présentées au Parlement européen, les alertes que vous recevez manifestement en votre qualité de sénatrice – je sais à quel point vous êtes mobilisée, depuis plusieurs années, sur ces sujets – et les chiffres présentés par le bureau d’entraide civile et commerciale internationale, qui relève de la Chancellerie.

Dans vos propos, vous avez pointé la tendance de ce bureau à se déclarer non compétent. Ce n’est pas ce que révèlent les chiffres, notamment pour l’Allemagne, pays pour lequel je suis en mesure de vous communiquer le nombre d’affaires traitées. Je ne manquerai pas de vous communiquer le document en question. J’indique ici très rapidement que le nombre de dossiers et de décisions de retour est à peu près équilibré entre les deux pays. Cela signifie que notre bureau s’empare bien des dossiers qui lui sont confiés et procède à leur règlement.

Pour ce qui concerne les dossiers où l’Allemagne est le requérant, huit dossiers ont été clôturés en 2011 et deux en 2012. À ce jour, six dossiers sont en cours, datant de 2012 et 2013, ce qui donne une indication des délais de traitement.

Concernant les dossiers où la France est le requérant, cinq dossiers ont été clôturés en 2011 et douze en 2012, dont deux par décision de retour. Les autres clôtures ont été motivées par le désistement ou la carence du requérant, le caractère manifestement mal fondé de la demande ou, heureusement, un accord trouvé entre les parents. Je dis « heureusement » parce que, on le sait, ces contentieux familiaux sont extrêmement douloureux, que ce soit à l’intérieur de l’espace judiciaire européen ou qu’ils impliquent d’autres pays, dans le cadre de conventions bilatérales.

Je peux vous dire qu’il s’agit du contentieux le plus difficile à traiter, à telle enseigne que j’ai mis en place des commissions bilatérales, qui se réunissent parfois à Paris. Avec certains pays, les relations étaient rompues depuis cinq, six voire dix ans. J’ai réenclenché tout cela, face à la douleur des parents et des enfants, qui sont parfois très malheureux. Ces contentieux doivent être appréhendés avec non seulement la rigueur du droit, mais aussi la délicatesse que suppose la nature du sujet.

Je propose que nous nous revoyions, madame la sénatrice, pour étudier comment nous pourrions mettre en place les propositions que vous formulez aujourd’hui et qui vont au-delà de celles que vous m’aviez initialement adressées.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la ministre, je vous remercie beaucoup de votre réponse et des avancées qu’elle permet d’envisager.

Il s’agit effectivement, vous l’avez souligné vous-même, de cas douloureux. Certaines situations sont absolument tragiques puisque des enfants se voient privés de l’un de leur parent. Pourtant, nous avons parfois tendance à nous réfugier derrière les chiffres, mais ceux-ci, pour modestes qu’ils soient, cachent autant de cas extrêmement douloureux. Une vie est une vie !

Selon moi, nous devons essayer d’avancer avec le plus de pragmatisme possible. Vous avez évoqué les commissions bilatérales que vous avez mises en place. Je vous en remercie et vous en félicite.

Une commission bilatérale parlementaire existait avec l’Allemagne. Elle a été supprimée en 2005 au prétexte que l’accord de Bruxelles II bis supprimait les problèmes. Or tel n’est pas le cas.

Je tiens également à rappeler que de nombreux parents, connaissant les difficultés de l’entreprise, n’osent pas alerter les autorités françaises. Ils savent qu’ils n’auront peut-être pas les moyens d’assurer leur défense, en payant un avocat. Ainsi, ils renoncent très souvent à faire valoir leurs droits et en arrivent parfois à adopter des comportements désespérés, comme nous pouvons le voir avec les enlèvements d’enfants.

Je vous remercie de votre proposition, madame la garde des sceaux, et serai très heureuse de travailler avec vous. Nous avons déjà œuvré ensemble sur d’autres sujets totalement différents, et je connais votre détermination.