Mai 30 2013

Français de l’étranger : le reflux démocratique (Le Figaro)

Ma tribune publiée dans Le Figaro, no. 21405 du jeudi 30 mai 2013, p. 16 :

Les années 2008 à 2012 auront été fastes pour les Français de l’étranger, dotés d’une représentation à l’Assemblée nationale et d’un ministre dédié, et pour la première fois habilités à expérimenter le vote par correspondance et par Internet pour une élection de portée nationale. Le retour de balancier n’est que plus violent : la réforme en train d’être votée (bien que la commission mixte paritaire vienne de se solder par un échec, témoignant de la fracture déchirant la majorité présidentielle des deux chambres) devrait entériner la disparition de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et la suppression du vote par correspondance. La commission Jospin a en outre proposé la diminution de onze à deux le nombre de circonscriptions législatives et envisagé la disparition de la représentation au Sénat.

Au nom de la « démocratie de proximité » , 444 postes de conseillers consulaires seront créés, en remplacement des 155 élus actuels… mais à budget constant. Outre le manque manifeste de moyens, ceux-ci n’auront aucune compétence décisionnelle face aux consuls. Quant au maillage géographique, il pourrait n’être qu’illusion, les grandes agglomérations continuant à être surreprésentées (jusqu’à 9 élus dans une seule ville) au détriment des communautés pionnières, situées dans des pays petits ou difficiles. Marque inédite de créativité institutionnelle, on invente des « conseils » qui ne comprendront parfois qu’un seul élu !

Le vote par correspondance postale, utilisé ces dernières années par deux tiers des votants pour les élections à l’AFE (seuls 10 % ont eu recours au vote électronique), est purement et simplement supprimé, alors même que le Conseil constitutionnel en a revalidé le principe le 15 février 2013. En cause, son coût – pourtant infiniment moindre que celui du vote par Internet – et les risques de sécurité. Un argument assez burlesque lorsqu’on sait que l’immense majorité des démocraties octroyant des droits civiques à leurs expatriés privilégient le vote par correspondance sous pli fermé – le vote par Internet ayant même été déclaré inconstitutionnel en Allemagne. La fracture numérique sera aussi aggravée par la dématérialisation des campagnes électorales.

Sous prétexte de « recentrage sur sa fonction consultative » , l’AFE sera privée de l’onction du suffrage universel direct, amputée d’un tiers de ses membres et reléguée à une mission de production d’études et d’avis. Si le Conseil économique, social et environnemental, avec un budget annuel de 38 millions d’euros, n’est saisi par le gouvernement que trois fois par an en moyenne, quel niveau d’attente pourra-t-on raisonnablement satisfaire avec une AFE ne se réunissant qu’une semaine par an et dont le budget annuel plafonnerait à 235 000 euros, coût du déplacement des élus à Paris inclus ?

La réforme n’apporte aucune garantie en matière de transparence dans le financement des campagnes et aucune amélioration en matière de remboursement des frais de transport en circonscription, privant de fait de toute possibilité d’élection un candidat dépourvu de fortune personnelle ou du soutien matériel d’un grand parti. Le cumul des mandats de parlementaires et conseillers consulaires ou membres de l’AFE n’est non seulement pas interdit, mais implicitement encouragé, les parlementaires disposant d’une notoriété et de moyens matériels les plaçant en situation de concurrence déloyale par rapport aux candidats locaux.

Une réforme de l’AFE et un élargissement du collège électoral des sénateurs des Français de l’étranger étaient unanimement réclamés par les élus depuis des années. Mais l’option choisie par le gouvernement, à l’encontre d’une vraie possibilité de dialogue, témoigne d’un indéniable mépris envers les électeurs et frôle l’inconstitutionnalité.

C’est la procédure accélérée qui a été retenue par le gouvernement. Il a ainsi fait voter la prorogation d’un an du mandat d’une moitié des élus de l’AFE (celui-ci avait déjà été prorogé d’un an en 2012), tandis que l’autre moitié d’entre eux verra son mandat amputé de deux ans. Que motivait ce traitement d’urgence ? Le remodelage du corps électoral avant les sénatoriales de 2014 !

Au nom de la « modernisation » , c’est une véritable entreprise de destruction qui est à l’oeuvre. Alors que nombre de pays d’Europe – et même au-delà – avaient explicitement pris la France pour référence en matière de représentation des expatriés, « l’ambitieuse » réforme qui va être votée n’est qu’une très pâle copie d’un dispositif italien dont les principaux acteurs, envieux de notre propre système, sont les premiers à se plaindre. N’est-ce pas le prologue à une suppression de toute représentation des Français de l’étranger, une fois que l’échec du nouveau dispositif aura été démontré ?

Les Français de métropole auraient tout intérêt à ne pas se détourner du sort de leurs compatriotes expatriés. Certaines audaces, notamment en matière de dématérialisation du vote, pourraient préfigurer des reculs démocratiques pour l’ensemble de la communauté nationale…

Télécharger la page 16 du Figaro du 30/05/2013