Juin 27 2013

Représentation des Français établis hors de France – 2e lecture

Mon intervention dans la discussion générale :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre à nouveau de cette réforme de la représentation des Français de l’étranger, du fait de l’échec de la commission mixte paritaire.

L’engagement de la procédure accélérée – alors même que la discussion du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, puis l’échec de la commission mixte paritaire ont largement retardé nos travaux – était injustifié et n’a servi qu’à museler le débat.

Nous étions nombreux à souhaiter une réforme, ne serait-ce que pour élargir le collège électoral des sénateurs, et là nous étions même unanimes. Mais cette réforme est mauvaise, et, en tant qu’ancienne élue de l’Assemblée des Français de l’étranger, madame la ministre, vous ne pouvez pas ne pas le savoir, vous ne pouvez pas ne pas être consciente des énormes faiblesses de ce qui est proposé ici.

L’aggravation continue de l’abstention, encore vérifiée lors des deux récentes législatives partielles, prouve que les Français de l’étranger ne comprennent pas et rejettent ce millefeuille institutionnel. Au lieu d’en prendre acte, vous avez fait le contraire de ce qu’il fallait faire. Au lieu d’alléger, de clarifier la structure institutionnelle, vous l’alourdissez encore ; au lieu de travailler à donner de vrais moyens aux Français de l’étranger, vous les leur retirez.

Aux deux niveaux actuels de représentation – AFE et parlementaires – s’ajouteront désormais deux nouvelles catégories d’élus : les conseillers consulaires et les délégués consulaires. Entre le niveau consulaire et l’échelon parlementaire, l’AFE se perdra forcément dans les limbes d’un no man’s land institutionnel… jusqu’à disparaître entièrement, si vous continuez sur cette même voie.

Face au défi démocratique majeur que constitue une abstention qui atteint désormais des sommets, il aurait été pertinent de prendre le temps de poser un véritable diagnostic de l’ensemble des causes.

Au lieu de cela, la réforme fait porter indirectement à la seule AFE la responsabilité de l’abstention et s’exonère ainsi de toute réflexion approfondie sur les véritables ressorts du phénomène. C’est pourquoi nous avons été sept sénateurs à écrire à Laurent Fabius, toujours président de l’AFE, pour lui demander de suspendre la réforme, le temps d’organiser des états généraux de la citoyenneté à l’étranger.

Cette solution, que vous avez immédiatement écartée, aurait pourtant permis de sortir par le haut de l’imbroglio institutionnel dans lequel nous sommes désormais plongés et dont vous savez qu’il est rejeté par une très grande majorité de nos compatriotes de l’étranger, y compris dans vos propres rangs, même s’ils ne sont pas présents aujourd’hui dans cet hémicycle.

Vous prétendez que la concertation a déjà eu lieu. Mais la manière dont l’avis de l’AFE, adopté à l’unanimité en septembre 2012 – vous étiez présente, madame la ministre – a été ignoré et méprisé, illustre cette manie de la consultation en trompe-l’œil : le Gouvernement dicte les réponses en même temps qu’il pose les questions. Il légitime des décisions opposées à celles qui sont votées par une assemblée d’élus au suffrage universel par le fait que quelques termes ont été repris… C’est là un signal très inquiétant de la manière dont les futurs « avis » de l’AFE pourront être pris en compte par le Gouvernement !

Dans ce contexte, les points de discussion légués par l’échec de la CMP sont finalement secondaires. Certes, une désignation de l’AFE au scrutin universel direct est indispensable, et j’ai d’ailleurs bien évidemment cosigné les amendements de Christian Cointat en ce sens. Mais le cœur du problème n’est pas là. Il est dans le rôle, ou plutôt l’absence de rôle, qui sera assigné à l’AFE et aux conseillers consulaires.

La création d’élus à l’échelon consulaire est a priori un progrès. Mes collègues de l’UMP et moi-même avions d’ailleurs demandé une telle densification. Mais ce ne sera que poudre aux yeux si les élus sont réduits à un rôle de figuration, sans attributions ni moyens.

Car l’impact de cette réforme ne dépend finalement qu’assez peu du Parlement. C’est le pouvoir réglementaire, donc votre cabinet, madame la ministre, qui décidera d’octroyer ou non une marge de manœuvre à ces nouveaux élus, marge de manœuvre sans laquelle ils ne seront que des voix isolées, sans influence à l’échelon consulaire et, a fortiori, sans possibilité de faire remonter des débats à l’échelle régionale ou transnationale.

Les conseillers consulaires d’un même pays mais de circonscriptions distinctes n’auront même pas de mandat pour entreprendre ensemble des actions vis-à-vis de leur ambassade commune ! Est-ce là votre réforme ?

Je regrette que les vrais enjeux de la réforme, ceux qui alimentent l’abstention – et continueront à l’alimenter, faute d’avoir trouvé de réponse adéquate – n’aient pas fait l’objet d’une véritable consultation. Je pense tout particulièrement à la suppression du vote par correspondance – j’y reviendrai dans la présentation de mon amendement.

L’élargissement du collège électoral des sénateurs, que nous réclamons de longue date, est certes une nécessité, mais la solution préconisée de longue date également par l’AFE, qui permettait un élargissement au moins équivalent, aurait mérité d’être réellement étudiée.

L’impression qui domine est celle d’une fausse bonne idée, d’une réforme bâclée, qui peine à masquer sa visée principale, et nous ne pouvons malheureusement pas en voir d’autre, étant donné les faits : le remodelage politicien du corps électoral avant les sénatoriales de 2014.

À défaut d’avoir été organisés en amont du projet de loi, j’espère au moins que ces états généraux de la citoyenneté à l’étranger – nous les avons réclamés – pourront avoir lieu avant la publication des décrets d’application. Cela permettrait enfin une réelle prise en compte des besoins de terrain, car ce sont les mille détails techniques et organisationnels qui feront le destin de cette réforme.

Les Français de l’étranger méritaient vraiment mieux qu’une réforme qui allie le paradoxe d’être bâclée et de consommer beaucoup de temps parlementaire, alors que nous aurions pu travailler sur tant d’autres sujets majeurs au cœur de la présence française à l’étranger, au cœur de notre politique de rayonnement et d’influence. Cela aurait été tellement important…

Je regrette profondément cette attitude, et cette réforme ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mon intervention sur l’article 2  (compétences des conseillers consulaires) :

Pour ma part, je regrette que le présent texte soit si laconique concernant un sujet particulièrement important : le champ de compétence des nouveaux élus. En effet, ceux-ci sont présentés comme membres de droit du conseil consulaire sans qu’il soit précisé si d’autres membres de droit ou membres invités peuvent participer aux séances du conseil. Dans les circonscriptions ne comptant qu’un seul conseiller, les séances du conseil consulaire risquent fort de manquer singulièrement d’animation !

Le refus d’inscrire dans le présent texte des indications quant à la composition des conseils consulaires et aux prérogatives de leurs membres, élus ou non élus, revient à laisser une large marge d’appréciation pour les règlements intérieurs des conseils consulaires. Ainsi, on risque d’observer une hétérogénéité de pratiques d’un consulat à l’autre, y compris au sein d’un même pays. Se pose notamment la question du rôle laissé aux grandes associations de Français de l’étranger, qui détiennent une expertise unique dont il serait très regrettable de se priver.

Un autre point mériterait d’être approfondi : la possibilité d’associer à ces réunions, à titre consultatif, d’anciens élus à l’AFE qui, en tant que conseillers honoraires, pourraient enrichir les débats de leur expérience.

Mon intervention à l’article 19 (décrets d’application) :

L’ensemble des éléments susceptibles de donner corps à la réforme, de faire pencher la balance en faveur de la démocratie locale ou, au contraire, de l’inutilité institutionnelle dépendront du ou des décrets d’application. Ayant largement détaillé les enjeux lors de la première lecture du texte, je me contenterai, mes chers collègues, d’attirer votre attention sur deux points.

Premier point : les moyens alloués aux élus pour exercer leur mandat. Je rappelle que le nombre d’élus est quasiment multiplié par trois, à enveloppe budgétaire constante. Je constate aussi que le présent projet de loi continue à éluder la question, pourtant primordiale, du statut de l’élu local à l’étranger.

Deuxième point, essentiel : la coordination entre élus locaux. La coopération entre conseillers élus dans des circonscriptions différentes mais dans le même pays n’a pas été prévue, pas plus, a fortiori, que la communication entre élus d’une même aire régionale.

C’est pour préparer ces décrets d’application que l’organisation d’états généraux de la citoyenneté serait, je le répète, particulièrement utile.

Par ailleurs, je me réjouis que notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’ ait réussi à faire adopter, à l’Assemblée nationale, un amendement, apparemment inspiré du mien, qui instaure la présentation annuelle au conseil consulaire d’un rapport du consul.

En revanche, je regrette que l’Assemblée nationale ait rendu facultative la consultation des conseillers consulaires en remplaçant les mots « sont consultés » par les mots « peuvent être consultés. » Là encore, la capacité des élus à obtenir des informations, d’orienter et de contrôler l’action consulaire dépendra du seul bon vouloir des consulats ou de la qualité des relations entre élus et administration consulaire, ce qui limite considérablement l’intérêt du dispositif.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Même si les membres de mon groupe n’ont pas l’intention de voter contre le présent article, ils ne pourront pas pour autant voter pour, car il ne va pas assez loin, comme l’a fort bien expliqué Mme Garriaud-Maylam. C’est la raison pour laquelle ils préfèrent s’abstenir.

Mon explication de vote :

Je ne peux pas laisser passer ce que j’ai entendu tout à l’heure, à savoir que la dernière grande réforme concernant les Français de l’étranger remonterait à 1982, avec l’instauration de l’élection au suffrage universel du CSFE. Je voudrais tout de même rappeler que, avec ce projet de loi, c’est un retour au suffrage universel indirect pour l’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger que l’on institue. Quel magnifique progrès !

La plus grande réforme des quarante dernières années a été la création de sièges de députés représentant les Français de l’étranger, ces députés ayant été élus pour la première fois l’année dernière. C’est là l’étape la plus importante de l’histoire de la représentation des Français établis hors de France, qui sont désormais enfin défendus dans les deux chambres. Dieu sait combien nous avons souffert, ici au Sénat, du fait que certains de nos amendements ne puissent être soutenus à l’Assemblée nationale, faute de connaissance suffisante en son sein des questions intéressant les Français de l’étranger !

Je tiens également à souligner que le grand défi est celui de la participation. L’abstention endémique est un péril extrêmement grave : elle met en danger la crédibilité et la légitimité de nos institutions. C’est sur ce sujet, mes chers collègues, que nous aurions dû nous concentrer.

Sept des huit sénateurs UMP représentant les Français établis hors de nos frontières ont lancé un appel en ce sens et demandé à M. Fabius l’organisation d’états généraux de la citoyenneté française, afin de réfléchir aux moyens de mieux ancrer le lien des Français de l’étranger avec leur pays. En effet, comme l’a notamment rappelé Christian Cointat, la France a besoin de ses expatriés.

Oui, une réforme était nécessaire, mais elle aurait pu être bien meilleure si les élus de proximité avaient été davantage écoutés. Malheureusement, cela n’a pas été le cas ; nous le regrettons amèrement.

Il vous reste toutefois une chance, madame la ministre : organiser ces états généraux de la citoyenneté à l’occasion de la prochaine réunion de l’Assemblée des Français de l’étranger, afin que nous puissions travailler, ensemble, sur la problématique de la participation.

Avant tout, comme je l’ai déjà dit, il serait bon que vous nous consultiez pour l’élaboration des décrets d’application, qui auront effectivement une importance fondamentale.

Quoi qu’il en soit, je regrette vraiment de devoir voter contre cette réforme.