Jan 20 2014

Géolocalisation : intervention dans la discussion générale + amendements

Mon intervention dans la discussion générale (extrait du compte-rendu intégral du 20 janvier 2014) :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, ce projet de loi répond à une nécessité et à une urgence. Vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la ministre.

Les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre et du 19 novembre derniers ont créé un vide juridique et privé les enquêteurs de moyens d’enquête précieux pour résoudre des affaires allant de la grande criminalité aux déplacements illicites d’enfants. Il était donc légitime de légiférer dans les meilleurs délais pour leur permettre d’y avoir de nouveau accès.

Cependant, et c’est un principe qui nous est cher ici, au Sénat, rapidité ne doit pas être confondue avec précipitation. Ce projet de loi n’est pas une simple formalité juridique qui devrait rétablir un ordre perturbé par la Cour de cassation. Les enjeux en termes de protection de la vie privée des citoyens sont bien réels.

La Cour de cassation a estimé que la géolocalisation de portables constituait « une ingérence dans la vie privée, dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge » et pas sous le seul contrôle du parquet. S’appuyant sur la jurisprudence européenne, elle a estimé également qu’en l’état la géolocalisation violait l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, qui proclame le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

L’enjeu est d’autant plus important que la géolocalisation est en train de changer d’échelle. Marginale voilà quelques années, elle se systématise. Il y aurait environ 20 000 mesures de géolocalisation par an grâce à la téléphonie, chiffre qui aurait doublé en l’espace de seulement trois ans. La géolocalisation par la réquisition des données des opérateurs téléphoniques est en train de prendre le relais des écoutes judiciaires en bonne et due forme, dont le nombre se trouve, quant à lui, en chute. Le risque de dérive est réel et des garde-fous sont indispensables.

En tant qu’élue responsable, membre de la commission des affaires étrangères et préoccupée des enjeux de sécurité à l’échelle internationale et nationale, bien sûr, je voterai ce texte, qui apporte une indispensable base légale à des pratiques jusqu’à présent trop peu encadrées. Cela étant, je ne voudrais pas qu’il étende de manière inconsidérée et inavouée, subrepticement, le champ légal de la géolocalisation.

Ainsi que le révèle l’étude d’impact, l’enjeu consiste à donner un cadre légal au suivi d’un téléphone portable ou d’une balise installée sur un moyen de transport. Toutefois, le projet de loi va bien plus loin en autorisant le suivi dynamique de n’importe quel objet, y compris les objets connectés, appelés à se diffuser massivement au cours des prochaines années. Au regard de la rapidité des progrès techniques dans ce domaine, je m’inquiète de cette formulation excessivement vague, qui ouvre la porte à une surveillance bien plus étendue que celle dont on nous parle aujourd’hui. Je ne suis pas par principe opposée à l’utilisation de nouveaux objets comme « mouchards », mais si cette possibilité est introduite dans la loi, je souhaite que cela soit fait dans la transparence, à la suite d’un débat public, et surtout pas en catimini !

Un autre point de rédaction m’inquiète : la possibilité de mettre en œuvre un dispositif de géolocalisation pendant quinze jours sans autorisation préalable d’un juge. Ce qui se justifie pleinement en cas de flagrant délit ou d’urgence avérée n’a pas à être étendu aux enquêtes ordinaires, me semble-t-il. J’ai donc déposé un amendement visant à exclure les enquêtes ordinaires du champ de la géolocalisation sans autorisation judiciaire. L’argument de la prévention ne peut suffire à légitimer l’extension de la géolocalisation extrajudiciaire en l’absence de toute urgence avérée.

Le 6 décembre dernier, le Conseil national du numérique soulignait que la confiance était le socle sur lequel devaient se construire la société et l’économie numériques. Il appelait à l’organisation d’une large concertation sur cette question. Le vote de ce texte selon la procédure accélérée ne doit pas occulter ce débat.

Il ne s’agit pas non plus de se prononcer une fois pour toutes sur les fondements légaux de la géolocalisation. Étant donné l’évolution rapide des technologies de géolocalisation, il faudra probablement compléter à nouveau ce cadre légal. Dans ce contexte, il est indispensable de disposer d’éléments factuels précis quant à l’ampleur du recours à ce dispositif et à son efficacité. Il est donc nécessaire qu’un rapport annuel soit remis au Parlement et c’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé.

Il s’agit non pas de tomber dans la paranoïa, mais d’offrir des garanties procédurales suffisantes pour éviter les dérives en matière de surveillance des données personnelles. Ce débat, engagé à l’occasion de l’examen de la loi de programmation militaire, a été trop rapidement éludé. Ne commettons pas la même erreur une nouvelle fois en votant une loi fourre-tout susceptible d’autoriser à l’avenir des pratiques que nous ne soupçonnons pas aujourd’hui.

L’enjeu est aussi économique. Les entreprises « high-tech » américaines l’ont bien compris, elles qui demandent à Barack Obama une réforme moins cosmétique de la NSA, pour mieux garantir la confidentialité des données et éviter ainsi une perte de crédibilité à l’échelon international. Ne pensez-vous pas qu’il y a en France une contradiction à faire du développement des objets connectés une priorité du redressement productif tout en votant une loi qui placera ces derniers dans une zone de flou juridique ?

Pour beaucoup, les questions de surveillance des données personnelles relèvent encore de la science-fiction et ne suscitent qu’indifférence. Le scandale de la NSA a récemment laissé entrevoir l’ampleur des enjeux. Prenons garde à ne pas accepter un cadre légal trop lâche, qui légaliserait des pratiques douteuses sur le plan du respect de la vie privée. À l’ère du big data, le progrès technologique nous obligera de toute façon à ajuster de nouveau la législation d’ici à quelques années. Au lieu de donner un blanc-seing, dotons le Parlement des outils d’information qui lui permettront de pouvoir rapidement et régulièrement exercer une fonction de contrôle sur les pratiques de géolocalisation.

Débat sur les amendements :

L’amendement n° 1, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

Remplacer les mots :

d’une personne à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet

par les mots :

d’un véhicule ou de tout moyen de transport de marchandises

II. – Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Pour les besoins et dans les conditions mentionnées au précédent alinéa, il peut être procédé à la localisation d’une personne à l’insu de celle-ci au moyen de données obtenues auprès des opérateurs de communications électroniques et des personnes mentionnées à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement tend à préciser et à circonscrire le champ des objets susceptibles d’être utilisés dans le cadre de mesures de géolocalisation.

Le texte actuel autorise la géolocalisation « d’un véhicule ou de tout autre objet sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ». Cette formulation extrêmement large pourrait ouvrir la voie à une extension considérable du champ de la géolocalisation. De très nombreux objets sont en voie de devenir des objets connectés. Leur développement est d’ailleurs l’une des priorités affichées pour le redressement productif de la France. Au travers d’une connexion Wi-Fi ou de données GPS, ils pourront interagir avec un réseau de communication, ce qui permettra leur localisation.

Or le suivi d’objets connectés, beaucoup plus intrusif pour la vie privée que la géolocalisation via des balises, n’est explicitement prévu ni dans l’exposé des motifs du projet de loi ni dans l’étude d’impact, qui n’envisagent que la géolocalisation d’un téléphone portable ou d’un dispositif installé sur un véhicule ou un conteneur.

Il ne faut donc pas permettre, à mon sens, que soit introduite subrepticement par la loi une telle extension du champ de la géolocalisation. Il me semble que cela nécessiterait un débat préalable et transparent, ainsi que l’a recommandé le Conseil national du numérique dans son avis du 6 décembre 2013 sur les libertés numériques.

Prévoir la possibilité d’une utilisation des objets connectés à des fins de surveillance des personnes revient à ouvrir une boîte de Pandore et à miner la confiance des citoyens envers ces objets, donc à nuire à leur développement. C’est pourquoi je demande l’ajout de cette précision.

[…]

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Madame Garriaud-Maylam, la géolocalisation est utile pour savoir où se trouvent des personnes recherchées à la suite de décisions de justice parce qu’elles sont suspectées, qu’elles présentent des risques pour la société ou qu’elles sont déjà reconnues coupables. Ce ne sont donc pas les objets qui sont visés, mais bien les personnes. La géolocalisation est un outil permettant de déterminer l’endroit où se trouvent des personnes par la pose de balises ou par divers moyens ou techniques, impliquant des objets tels qu’un téléphone portable.

Il est impossible que la loi précise quels objets sont concernés, car les technologies évoluent très vite.

En outre, cette démarche n’est licite que dans le cadre d’une décision de justice et d’une procédure judiciaire. Il s’agit alors d’un moyen de trouver des informations au sujet de personnes présentant des risques, constituant une menace, etc.

Voilà pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 1.

[…]

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Concernant l’amendement n° 1, je rappelle que la géolocalisation concerne exclusivement la localisation, et en aucune manière le contenu. En conséquence, madame Garriaud-Maylam, vos inquiétudes devraient être levées. Le fait que les garanties procédurales s’appliquent et que le contrôle soit effectué par le magistrat devrait également y contribuer.

J’entends votre préoccupation, mais prendre ces dispositions générales permet d’éviter qu’une évolution technologique permettant d’améliorer la géolocalisation ne nous contraigne à prendre, dans quelque temps, une nouvelle disposition législative.

[…]

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

I.- Alinéa 6, première phrase

Supprimer les mots :

, d’une enquête préliminaire

II.- Après l’alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« 1° bis Dans le cadre d’une enquête préliminaire par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République, pour une durée maximum d’un mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée ;

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La Cour de cassation, suivant en cela la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, a estimé que la géolocalisation, « en raison de sa gravité, ne peut être réalisée que sous le contrôle d’un juge ».

Or le présent projet de loi instaure un mécanisme selon lequel cette mesure peut être mise en œuvre pendant un délai de quinze jours, sans aucun contrôle du juge. La rédaction actuelle de l’article 1er ne répond donc pas aux exigences formulées par la Cour européenne des droits de l’homme.

Se passer de l’approbation préalable d’un juge peut être acceptable de manière dérogatoire dans le cadre des enquêtes de flagrance ou en cas d’urgence, mais ne l’est pas lorsqu’il s’agit d’enquêtes préliminaires ordinaires.

Dans ce dernier cas, afin de respecter les libertés individuelles telles que définies par la Convention européenne des droits de l’homme, il importe que l’intervention du juge ait lieu dès la mise en œuvre de la géolocalisation et non au terme du délai de quinze jours.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement pour une raison très simple : vos propos, madame Garriaud-Maylam, ne sont pas conformes aux conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme.

En effet, dans l’arrêt Uzun, cette institution a demandé l’approbation du dispositif par un juge du siège à un certain stade de la procédure. Elle a validé le délai d’un mois retenu en Allemagne, à la suite d’une modification législative.

Cela étant, d’une part, le présent projet de loi prévoit un délai de quinze jours sans saisine du juge, ce qui est totalement compatible avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, sans préjudice de l’amendement que nous présentera dans quelques minutes M. Requier, qui vise à abaisser ce délai à huit jours.

D’autre part, ce texte introduit une autre disposition, à la demande non pas de la Cour européenne des droits de l’homme, mais de la Cour de cassation : à l’origine du dispositif, l’intervention du procureur de la République pour une enquête préliminaire et celle du juge d’instruction pour une information judiciaire.

Ces deux mesures – l’intervention du juge d’instruction ou du procureur de la République dès la mise en œuvre du dispositif et celle du juge des libertés et de la détention dès le quinzième jour – vont donc au-delà de ce que demande la Cour européenne des droits de l’homme.

C’est pourquoi, je le répète, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir sur le débat relatif à la qualité des magistrats du ministère public et sur leur appartenance à l’autorité judiciaire. En filigrane, se pose la question de savoir s’il faut déposséder le procureur de la République de la possibilité d’ordonner une géolocalisation.

On peut faire tous les procès que l’on veut aux magistrats du ministère public, mais je vous rappelle que vous avez adopté la loi visant à prohiber les instructions individuelles et qui a été promulguée le 25 juillet 2013. Non seulement je me suis engagée, dès ma prise de fonctions, à ne pas donner d’instructions individuelles – et je n’en donne pas ! –, mais cela est maintenant interdit par la loi.

Ensuite, un débat sur la réforme constitutionnelle a été engagé dans cette enceinte même, afin d’inscrire dans la Constitution que les gardes des sceaux respectent l’avis du Conseil supérieur de la magistrature lors de la nomination de ces magistrats. Vous avez raison, monsieur Reichardt, de rappeler que mes prédécesseurs suivaient cette pratique, mais ils ne le faisaient pas tous – seulement les derniers ! L’appréciation conventionnelle, dont je rappelle qu’elle est différente de l’appréciation constitutionnelle, n’aura bientôt plus lieu d’être.

Conformément à la Constitution, le Conseil constitutionnel considère l’unité de corps : les magistrats du ministère public appartiennent à l’autorité judiciaire. La jurisprudence conventionnelle apprécie les choses différemment, notamment dans l’arrêt Medvedyev. Cela dit, ce fut avant la loi du 25 juillet 2013 et avant la réforme judiciaire, qui, vous le savez – le Président de la République s’y est engagé –, vous sera prochainement soumise.

Les magistrats du ministère public sont des magistrats à part entière et sont donc garants, comme les autres, même si leur champ d’intervention est plus restreint que celui des magistrats du siège – notre droit est ainsi fait –, des libertés individuelles. C’est pourquoi nous n’avons aucune raison de penser qu’ils ne peuvent pas autoriser un acte tel que la géolocalisation.

À cet égard, je rappelle que la procédure de géolocalisation a lieu, dans 93 % ou 95 % des cas, dans le cadre des enquêtes préliminaires, qui ne donnent pas nécessairement lieu à l’ouverture d’une information judiciaire. Par conséquent, les magistrats du ministère public me semblent parfaitement fondés à ordonner une telle mesure.

C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 8.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’entends vos explications, madame le garde des sceaux. Mais je tiens à rappeler que la Cour de cassation a bien insisté, dans ses deux arrêts, sur le fait que la géolocalisation des téléphones portables constitue une ingérence dans la vie privée, dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge …

[…]

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur le recours à la géolocalisation par les services d’enquête. Ce rapport décrit notamment les moyens déployés et fournit des éléments chiffrés sur le nombre de demandes adressées aux opérateurs de télécommunications et sur l’efficacité de la géolocalisation dans la résolution des enquêtes.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je l’ai indiqué tout à l’heure au cours de la discussion générale, l’évolution rapide des technologies susceptibles de permettre une géolocalisation pourrait nécessiter un réajustement périodique du cadre juridique. Dans cette perspective, il est indispensable que le Parlement dispose régulièrement de données précises – nombre de requêtes formulées auprès des opérateurs téléphoniques et de balises posées, efficacité du recours à ces mesures pour faire aboutir des enquêtes – quant au fonctionnement concret de ce dispositif.

Un tel rapport pourrait d’ailleurs être utilement étendu aux autres mesures de surveillance des données personnelles prévues dans le cadre de l’article 20 de la loi de programmation militaire promulguée le 19 décembre dernier par François Hollande. À propos de cet article, la CNIL a considéré que l’extension « réalisée dans le cadre du régime administratif du recueil des données de connexion, risque d’entraîner une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée. »

Un rapport global au Parlement sur la mise en œuvre de la loi qui résultera de nos présents travaux et de l’article 20 de la loi de programmation militaire semble donc nécessaire.

Comme le souligne le Conseil national du numérique dans son avis du 6 décembre dernier, « la numérisation de la société, de la vie économique, et de la vie publique, ne doit pas être entravée par des incertitudes quant à la protection de la vie privée des individus et des collectifs. Il est indispensable de trouver un équilibre entre une protection globale et une protection individuelle. La confiance est le socle sur lequel construire la société et l’économie numériques. »

Cette confiance ne peut se construire que sur le fondement d’informations concrètes et régulières. Il me paraît normal et légitime que le Parlement soit régulièrement informé en la matière.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ma chère collègue, vous avez fait état d’un communiqué de la CNIL, que j’ai lu avec grand intérêt. Alors que l’article 20 de la loi de programmation militaire a été débattu dans les conditions que vous savez au Sénat, la séance publique ayant donné lieu à des comptes rendus parfaitement publics et au vote d’articles également publics, un mois plus tard, l’ASIC, l’Association des services internet communautaires, qui comprend notamment les majors de l’internet, s’est manifestée dans un communiqué. La CNIL s’est alors avisée qu’elle n’avait pas été entendue par le Gouvernement un mois et demi auparavant. En revanche, elle avait été entendue par moi-même, rapporteur pour avis de ce texte.

Par conséquent, dans un contexte de déclarations un peu tardives, suivies d’un communiqué, la CNIL a, selon moi, pesé ses termes et pris le temps de la réflexion, ce dont je la félicite.

Par ailleurs, si j’apprécie au plus haut point la grande vigilance des représentants de l’ASIC, notamment des majors du web mondial qui en font partie, sur les différents articles que nous votons, il me semblerait intéressant qu’une même vigilance s’applique au préalable aux États-Unis d’Amérique et à la NSA, auxquels ils ont fourni – ils ont fini par l’avouer – quelques millions de données, mais je suis peut-être en deçà de la vérité. Dans le fond, avant de faire preuve de vigilance en l’espèce, il serait sans doute utile d’exercer cette vertu pour ce qui concerne l’affaire PRISM. Je dis cela de manière à être totalement fidèle à la vérité.

Par ailleurs, je n’ignore pas qu’un certain nombre de nos concitoyens, défenseurs des droits de l’homme, soutiennent aussi les libertés publiques. Ils ont bien raison. Nous-mêmes poursuivons le même objectif et demeurons attentifs.

Bien entendu, afin d’être tout à fait précis, je tiens à redire à la CNIL et à sa présidente que nous sommes très heureux de travailler, en toute confiance, avec cette grande institution, qui fait un travail considérable.

Au demeurant, sur d’autres sujets importants – je pense notamment au PNR – l’ensemble des CNIL européennes mènent un travail qui justifiera des dialogues futurs.

Pour en revenir, ma chère collègue, au rapport que vous demandez par le biais de votre amendement, vous savez que la commission des lois, dont la composante écologique est très large, est attachée aux forêts françaises. À cet égard, elle s’en tient à une jurisprudence de modération quant à la demande de rapports, qui fait partie des artefacts de la vie parlementaire. En effet, quel que soit le texte examiné, on se demande toujours à quel instant sera soumis l’amendement dont l’objet est de prévoir un rapport. Or cet instant est arrivé ! Je vous remercie, ma chère collègue, d’avoir ainsi rempli cette obligation.

Sur le fond, je vous rappelle qu’il existe désormais une commission chargée du contrôle de l’application des lois, qui est à l’origine de nombreux rapports. Par ailleurs, la commission des lois, tout comme les autres commissions, veille particulièrement à l’application des lois. Sur ce sujet, nous serons doublement ou triplement vigilants.

À mes yeux, cette vigilance est nécessaire. Elle me paraît préférable à une demande perpétuelle de rapports, qui ne sont, selon les circonstances, ni toujours faits ni toujours lus.

C’est la raison pour laquelle j’ai le regret de vous informer, ma chère collègue, que la commission a émis un avis défavorable sur votre amendement, tout en s’engageant fermement et publiquement à étudier de très près la suite qui sera donnée à ce texte.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je comprends votre préoccupation, madame la sénatrice, qui justifie votre demande de rapport. Simplement, je vous le rappelle, dans le cadre de la loi du 25 juillet 2013, nous avons modifié l’article 30 du code de procédure pénale. L’exécutif est désormais tenu par la loi de présenter au pouvoir législatif un rapport annuel sur les orientations et l’application de la politique pénale. Ainsi les éléments que vous souhaitez connaître seront-ils présents dans ce rapport.

Par l’amendement n° 2, vous demandez un rapport sur un acte de procédure. Or d’autres actes de procédure, tels la sonorisation ou les interceptions téléphoniques, c’est-à-dire les écoutes, qui impliquent une intrusion, me paraissent plus attentatoires aux libertés que la géolocalisation.

Tous ces éléments seront contenus dans le rapport annuel que le Gouvernement est dorénavant tenu de présenter au Parlement. Pour cette raison, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je n’ai absolument pas été convaincue par la réponse de M. le président de la commission des lois. Il évoque les forêts, auxquelles je suis moi-même extrêmement attachée ! Bien que je n’aie pas l’habitude de demander des rapports, j’ai souvent entendu M. Sueur invoquer cet argument. Pourtant, à l’époque d’internet, les rapports peuvent être numériques. Ils peuvent même n’être diffusés que sur l’intranet, si on veut les réserver à la seule lecture des membres du Sénat. Ainsi, pardonnez-moi, cher ami, mais votre argument n’est pas recevable et me déçoit de votre part.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Vous avez raison, ma chère collègue ! Je dois renouveler mon argumentaire !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. En revanche, j’ai été sensible aux propos tenus par Mme la garde des sceaux. Ainsi, dans la mesure où ces informations figureront dans le rapport en question, j’accepte de retirer mon amendement.

Je tiens également à le préciser, à la suite de l’intervention de M. le président de la commission des lois, la commission des lois n’est pas seule à se pencher sur ces questions juridiques. Comme vous le savez, je suis membre de la commission des affaires étrangères et m’intéresse beaucoup à ces sujets.

Je retire donc mon amendement, en vous remerciant, madame la garde des sceaux, de la précision apportée, que je considère comme un engagement de transparence à l’égard de la représentation nationale.