Déc 11 2014

Reconnaissance de l’Etat de Palestine

Mon intervention au sujet de la proposition de résolution visant à appeler le gouvernement à reconnaître l’Etat de Palestine (extrait du compte-rendu intégral) :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je citerai la présidente socialiste de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Élisabeth Guigou : « Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction, meurtrière. » L’actualité de ces dernières heures le prouve à nouveau, douloureusement.

Le conflit entre Israël et la Palestine n’est pas seulement un enjeu humanitaire, celui de milliers de vies sacrifiées, celui de la crise humanitaire des Palestiniens vivant dans des prisons à ciel ouvert dans un total dénuement, celui de la peur et de la haine qui s’instillent dans le quotidien des deux peuples.

Ce conflit est aussi est aussi un enjeu politique majeur pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient, avec des répercussions jusque sur notre propre territoire. La communauté internationale a donc une responsabilité majeure pour reconnaître l’échec des accords d’Oslo, faire enfin cesser les hostilités et établir les conditions d’une paix durable.

Face à cette urgence, que faire ? Quelle action serait à la hauteur de cette responsabilité qui est la nôtre ?

Le parti socialiste nous propose une résolution, sans valeur juridique contraignante, qui se contente d’« inviter » le Gouvernement à agir. N’est-ce pas là, pour le Gouvernement, une nouvelle tentative de fuir ses responsabilités ?

M. Christian Cambon. Absolument !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si la majorité présidentielle estime que la relance des négociations passe par une reconnaissance de la Palestine par la France, pourquoi en passer par la case parlementaire, alors que notre pratique constitutionnelle fait de la politique étrangère une prérogative de l’exécutif en général et du Président de la République en particulier ? Il s’agit non pas de chercher à « pinailler » avec des arguties juridiques, mais de mettre le doigt sur la responsabilité du Président et du Gouvernement.

En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France avait voté en faveur de l’adhésion de l’État de Palestine à l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. En 2012, la France a soutenu l’accession à l’ONU de la Palestine en tant qu’État observateur. La reconnaissance diplomatique bilatérale aurait été un prolongement logique. Pourtant, depuis deux ans, plus rien, alors même que chaque mois apporte son cortège d’horreurs et prouve l’impasse du processus de paix.

Il est désormais courant de dénoncer le greenwashing utilisé par les organisations pour se donner une image écologique responsable. La présente résolution n’est-elle pas une entreprise de whitewashing, c’est-à-dire un procédé de marketing visant à maquiller par de belles déclarations d’intention l’immobilisme diplomatique et l’incapacité à progresser vers la paix ?

Laurent Fabius a dévoilé un calendrier qui laisserait deux ans supplémentaires aux négociations, à l’issue desquels, si aucun progrès n’était enregistré, l’État de Palestine serait reconnu. La reconnaissance diplomatique est ainsi présentée comme la menace suprême dont disposerait la France pour faire bouger les lignes. Je ne peux que vous faire part de mes doutes quant à la pertinence d’une telle approche.

D’une part, cette perspective de retarder de deux années supplémentaires toute initiative diplomatique forte me paraît meurtrière. Depuis 1993, nous avons eu plus de vingt ans pour constater l’impasse du processus d’Oslo. Début 2008, j’avais participé à une délégation internationale de parlementaires pour la paix. Nous nous étions rendus en Israël, en Palestine, en Jordanie, en Égypte et nous avions rencontré tous les grands dirigeants : le roi de Jordanie, Shimon Peres, Netanyahou, Mahmoud Abbas et d’autres. Depuis, rien n’a changé. Retarder de deux ans toute action diplomatique sérieuse me semble donc vain.

D’autre part, je ne crois pas que brandir la menace d’une reconnaissance diplomatique de la Palestine en cas d’échec de deux années de futures négociations soit de nature à faire bouger les lignes. Depuis 1988, pas moins de 135 pays – plus de deux États sur trois à l’ONU – ont reconnu la Palestine, avec des conséquences nulles sur les avancées ou les blocages du processus de paix. La reconnaissance diplomatique est un symbole important, mais n’en surestimons pas la portée en la faisant passer pour une « arme ultime ».

Mes chers collègues, vous l’avez compris, sur le fond, je suis convaincue que la construction d’une paix durable passe par la constitution de deux États indépendants, sur la base des frontières de 1967.

Cette conviction est d’ailleurs partagée par de nombreux Israéliens, y compris – comme l’a montré le documentaire The Gatekeepers – parmi ceux qui ont exercé les plus hautes responsabilités au sein de l’appareil de sécurité ; ceux-ci ont, mieux que quiconque, constaté l’impasse à laquelle mène l’engrenage infernal de la violence. Du reste, telle est aussi la doctrine traditionnellement affirmée par notre diplomatie.

Mais au-delà des mots, au-delà des discours ou des résolutions, comment défendre cette approche concrètement et efficacement ?

Il me semble indispensable d’adopter une attitude beaucoup plus ferme face aux violations avérées du droit international. La passivité internationale s’apparente à un véritable permis de tuer.

Il y a dix ans déjà, la Cour internationale de justice avait affirmé que l’édification du mur de séparation était contraire au droit international. Cet été, le Conseil de sécurité de l’ONU a été contraint d’appeler au respect du droit international humanitaire et à la protection des civils à Gaza. La poursuite du processus de colonisation est illégale et le non-respect de la liberté de circulation des Palestiniens porte atteinte à leurs droits fondamentaux.

Pourquoi la France, si prompte à appeler à une action militaire contre la Syrie ou à des sanctions contre la Russie, se cantonne-t-elle dans des positions aussi tièdes sur ce dossier ? Des prises de position courageuses et responsables sont indispensables.

Vis-à-vis des protagonistes du conflit, cela pourrait passer par un ralentissement des échanges avec Israël. Quel peut être en effet l’impact des condamnations verbales lorsque la coopération technique, économique et sécuritaire se poursuit, voire s’intensifie ? L’Europe, qui accueille un tiers des exportations israéliennes, dispose là d’arguments beaucoup plus tangibles que la reconnaissance diplomatique !

Parallèlement, alors que la communauté internationale intensifie ses efforts de lutte contre le terrorisme, il importe que l’appui français à la constitution de deux États ne se fasse jamais complice des exactions perpétrées par le Hamas. Cela passe notamment par un indispensable travail de surveillance des financements de cette organisation.

L’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale pourrait aussi se révéler encore plus efficace que la reconnaissance bilatérale. Cette proposition de Dominique de Villepin aurait pour intérêt de faciliter non seulement la répression, mais aussi la prévention de crimes de guerre. Elle aurait donc un impact beaucoup plus concret que la simple reconnaissance diplomatique. N’oublions pas non plus que la violence a également cours sur le territoire israélien.

Enfin, la France aurait une carte à jouer vis-à-vis de ses partenaires européens. En effet, s’il y a quelque prétention à croire qu’une résolution française incitant le gouvernement français à reconnaître la Palestine pourrait jouer un rôle dans la relance du processus de paix, une initiative européenne aurait, elle, beaucoup plus de poids.

Convaincue de la nécessité de reconnaître l’État de Palestine et de favoriser son accession à une pleine et effective souveraineté, je considère néanmoins que la présente résolution relève davantage des effets de manche que de l’action diplomatique et ne constitue pas une réponse adaptée à l’urgence d’une relance du processus de paix.

On ne peut s’accommoder plus longtemps de l’immobilisme qui prévaut depuis des décennies. Or cette résolution est imparfaite. Le président Raffarin vous avait proposé, chers collègues de gauche, de la retravailler ; vous avez refusé. (Exclamations et manifestations d’impatience sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Cette résolution n’est qu’un maquillage de notre impuissance diplomatique. C’est pourquoi je ne pourrai la voter en l’état, et je le regrette beaucoup. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)