Mai 11 2015

Réforme de l’asile

Mon intervention dans le débat sur la réforme de l’asile (extrait du compte-rendu intégral de la séance du 11 mai 2015) :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de notre politique de l’asile nous renvoie à l’éternel dilemme entre le respect de principes humanitaires affirmés en droit international et les limites, malheureusement constatées, de nos capacités d’accueil. Sommes-nous vraiment condamnés ad vitam aeternam à cette opposition entre humanisme et réalisme ? Il me semble au contraire urgent d’en sortir. Pour cela, nous devons nous donner les moyens de la responsabilité, plutôt que nous enfoncer dans la passivité et l’assistanat, qui nourrissent suspicion et xénophobie.

Si le présent projet de loi et certains amendements adoptés en commission vont dans le bon sens, davantage d’ambition serait nécessaire. Je partage pleinement la volonté de réduire les délais d’instruction des demandes, mais je souhaite vous alerter sur deux écueils.

Raccourcir les délais d’examen des demandes est évidemment indispensable pour lutter contre l’engorgement du dispositif et redonner tout son sens au droit d’asile. C’est indispensable sur le plan à la fois humain, pour que les demandeurs d’asile soient, au plus tôt, fixés sur leur sort, et économique, pour éviter de faire peser trop longtemps sur la collectivité le coût de l’assistance aux demandeurs en attente de décision.

Je salue donc la volonté de la commission des lois d’inscrire les délais d’instruction par l’OFPRA dans la loi au lieu de les laisser au niveau réglementaire. La rapidité de traitement des dossiers est non pas un détail administratif, mais bien une condition de l’exercice effectif du droit d’asile.

Gardons-nous, toutefois, de nous arrêter à la formulation de vœux pieux. La longueur excessive des délais de traitement n’est évidemment pas le résultat de la mauvaise volonté des agents de l’OFPRA ou des juges de la CNDA. Fixer des objectifs ambitieux sans les assortir de moyens adéquats, c’est prendre le risque d’une planification à la soviétique. Je veux donc insister sur la nécessité de mettre en cohérence objectifs et moyens.

Un autre risque serait d’encourager une approche trop expéditive au niveau de la première instruction par l’OFPRA, qui se traduirait par une multiplication des recours au niveau de la CNDA.

Nous avons trop tendance, en France, à considérer la multiplication des possibilités de recours comme le critère de la décision juste. Le danger est de favoriser les demandeurs d’asile les plus procéduriers, souvent épaulés par des réseaux qui leur fournissent des argumentaires tout prêts, au détriment des demandeurs véritablement légitimes, rendus méfiants par rapport à une administration trop tatillonne du fait des traumatismes subis dans leur pays d’origine.

L’approche individuelle et humaine est essentielle. Et celle-ci exige de pouvoir consacrer un peu de temps à chaque dossier. Tout en comprenant le bien-fondé d’un raccourcissement des délais d’instruction des demandes, j’attire donc l’attention sur la nécessité de maintenir une approche individualisée bienveillante. C’est particulièrement essentiel pour des personnes en situation de grande vulnérabilité, notamment les mineurs ou les femmes victimes d’abus.

Cette étape du recueil des témoignages des demandeurs d’asile me semble être la clé d’une approche juste et d’une modération de l’engorgement du système.

Il y a aujourd’hui, comme il a été rappelé, plus de 60 000 demandes annuelles d’asile, contre 35 000 en 2007. Trois quarts de ces demandes environ font l’objet d’un rejet. Cela pèse évidemment sur notre capacité à accueillir dans la dignité les demandeurs d’asile légitimes. L’engorgement du dispositif rallonge les délais de traitement des demandes ; le partage des budgets alloués à l’hébergement et aux allocations temporaires d’attente entre un nombre croissant de demandeurs tourne à la gestion de la pénurie.

Mais comment endiguer cet afflux ? À l’évidence, exiger une réduction des délais de traitement ne diminuera en rien le nombre de demandes. Il faut donc trouver des approches complémentaires.

N’est-il pas absurde que les migrants chassés par la guerre et les persécutions soient obligés, pour déposer leur demande d’asile, de traverser la Méditerranée au péril de leur vie et en finançant les réseaux de trafiquants ? Plutôt que de compter les cadavres et de financer de coûteuses opérations de sauvetage en mer, ne devrait-on pas favoriser un examen des demandes d’asile sur place ?

C’est ce qui a commencé à être fait en Syrie et en Irak, où nos consulats réalisent un tri des demandes et peuvent délivrer le statut de réfugié sans que les demandeurs aient à venir clandestinement sur notre territoire pour présenter une demande à l’OFPRA. Cette approche aussi positive qu’humaine ne s’applique malheureusement qu’à quelques centaines de personnes, alors même qu’en 2014 20 % des 620 000 demandeurs d’asile en Europe étaient originaires de Syrie. Ne devrait-on pas favoriser la montée en puissance d’un tel dispositif, non seulement dans le cadre de la crise actuelle au Moyen-Orient, mais aussi de manière plus générale ?

Traiter les demandes dans le pays de départ plutôt qu’à l’arrivée des réfugiés en France présenterait de nombreux avantages.

D’un point de vue strictement économique, cela constituerait autant d’économies sur les dépenses liées à la subsistance des demandeurs d’asile sur notre sol – hébergement, allocation d’attente, soins médicaux, placement en rétention – et à leur éventuel éloignement du territoire.

D’un point de vue humain, cela éviterait aux demandeurs de risquer leur vie, de perdre toutes leurs économies en recourant à des passeurs, de subir des mois, voire des années de vie précaire dans l’attente de la décision de l’OFPRA et de risquer un nouveau déracinement en cas de rejet de la demande d’asile et d’éloignement forcé du territoire.

L’examen des dossiers d’asile par les consulats favoriserait aussi une approche plus juste, car mieux informée de la réalité du contexte politique et social local. Cela limiterait aussi les difficultés pratiques et budgétaires engendrées, en France, par le recours aux traducteurs. Cela éliminerait la polémique récurrente sur la liste des « pays sûrs » et permettrait de vérifier plus facilement la véracité des faits évoqués. Cela permettrait de mieux orienter, en amont, les candidats à l’émigration vers des statuts leur correspondant : asile pour les victimes de persécutions, visas étudiants ou visas d’affaires pour les autres…

Cet élargissement des missions consulaires nécessiterait évidemment le déploiement de moyens adaptés, mais ces dépenses seraient largement contrebalancées par les économies réalisées sur le fonctionnement du dispositif de l’asile dans notre pays. D’autant qu’une telle décentralisation de l’examen des demandes d’asile n’aurait de sens qu’en étant déployée à l’échelle européenne, par la création de véritables « guichets d’asile » européens.

En 2014, 20 % des 620 000 demandeurs d’asile en Europe étaient originaires de Syrie. Il est pourtant impossible de remplir une demande d’asile depuis les camps de réfugiés syriens au Liban ou en Jordanie, et ce malgré l’existence d’une directive européenne de 2001 sur la protection temporaire. Cela se faisait pourtant dans des camps de réfugiés irakiens en Syrie que j’avais pu visiter en 2008.

Cette directive européenne visait à gérer l’arrivée massive dans l’Union européenne d’étrangers ne pouvant rentrer dans leur pays en raison d’une guerre, de violences ou de violations des droits de l’homme. Elle instituait, pour ces personnes déplacées, une protection immédiate et temporaire d’un an renouvelable et assurait un équilibre entre les efforts réalisés par les États membres pour les accueillir.

La directive demeure inappliquée, faute de volontarisme politique des États membres. Par conséquent, seules l’Allemagne et la Suède accueillent massivement les réfugiés syriens. La France s’honorerait pourtant d’œuvrer en faveur d’une réelle application de cette directive.

Certes, le réseau consulaire français, particulièrement dense, exposerait la France à gérer une grande partie de ces demandes. Mais la directive prévoit un partage équitable de l’effort et donc un dédommagement par les États moins exposés. Un accord a tout récemment été trouvé en matière de protection consulaire. Une philosophie similaire pourrait donc être appliquée à l’asile.

L’adoption, par la commission des lois, d’un amendement offrant une base légale à la pratique de la vidéoconférence pour les entretiens OFPRA est, à cet égard, prometteuse, puisque cette mesure, initialement pensée pour les demandeurs placés en centre de rétention, pourrait aussi faciliter un traitement plus décentralisé des demandes.

Je voudrais consacrer le temps qui me reste à évoquer une question injustement laissée de côté dans le débat actuel sur l’asile : l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail.

Bien que le droit au travail des demandeurs d’asile soit reconnu en droit international, notamment par la convention des Nations unies de 1951 et par la Charte sociale européenne, la France reste frileuse.

Depuis 1991, les demandeurs d’asile ne bénéficient plus d’une autorisation de travail. Ils ne peuvent en solliciter une qu’au bout d’un an, si l’OFRA n’a pas répondu à leur demande ou si un recours est en cours d’instruction par la CNDA. Les conditions pour obtenir cette autorisation sont draconiennes et, en cas d’acceptation, des taxes élevées sont dues par l’employeur.

Remarquons-le au passage, si la question de l’accès au marché du travail est abordée dans le présent projet de loi, ce n’est sans doute pas le fruit d’une volonté politique forte. C’est, bon gré mal gré, la simple transposition en droit interne de la directive européenne « Accueil » de 2013, qui impose d’ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile pour lesquels aucune décision n’aurait été prise dans un délai de neuf mois. Maigre progrès, alors que la législation actuelle fixe ce délai à douze mois !

La France est aussi très en retard par rapport à ses homologues européens : en Suède, les demandeurs d’asile peuvent travailler dès le dépôt de leur demande ; en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, le délai n’est que de trois mois ; en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas, il est de six mois. Aux États-Unis aussi, les demandeurs d’asile ont le droit de travailler – et ce sur un pied d’égalité avec les citoyens américains.

La question du travail est, chez nous, un véritable tabou. Elle réveille des peurs irrationnelles. Permettre aux demandeurs d’asile de travailler encouragerait, croit-on, les filières d’immigration clandestine et pousserait des migrants économiques à solliciter indûment le statut de réfugié. Mais il y en aura toujours pour profiter du système ! Certains sont déjà encouragés à postuler au statut de réfugié par l’existence de l’allocation temporaire d’attente. L’ouverture du marché du travail ne constituerait pas une incitation supplémentaire décisive.

Pouvoir travailler permettrait aux demandeurs d’asile de vivre dans la dignité, en gagnant eux-mêmes de quoi vivre et faire vivre leur famille. Le droit au travail est un droit fondamental, reconnu notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il est aussi le socle de la plupart de nos droits fondamentaux.

Travailler permet d’assurer un revenu de subsistance. Pouvoir travailler légalement diminue la probabilité du recours au travail informel et, notamment, à des emplois dégradants, exposant à des risques d’exploitation, à des violences sexuelles, voire à la traite des êtres humains. Cela réduit aussi les risques de sombrer dans la délinquance ou de devenir dépendant de l’aide publique.

Le travail est aussi un facteur essentiel de dignité et d’estime de soi, ce qui revêt une importance particulière pour des réfugiés souvent traumatisés par des parcours tragiques.

Travailler est, enfin et surtout, un facteur d’intégration.

Dans un avis voté en décembre 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, souligne qu’il est « de l’intérêt de tous de permettre l’accès au marché de l’emploi dans la mesure où il s’agit d’un facteur d’autonomisation des demandeurs d’asile. Cet accès devrait être ouvert à tout demandeur d’asile après le dépôt de sa demande. »

Dans une récente résolution, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe note que faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile profite tant aux sociétés dans lesquelles ils vivent qu’aux sociétés dans lesquelles ils pourraient retourner. C’est aider les demandeurs d’asile à maintenir et développer leurs compétences et à les mettre au service de leur pays d’accueil.

Le programme EQUAL, financé par le Fonds social européen, préconise de commencer l’intégration et l’autonomisation des demandeurs d’asile dès leur arrivée. Il a aussi prouvé que l’emploi des demandeurs d’asile était un élément essentiel de leur intégration future.

Pourquoi alors continuer à favoriser l’assistanat plutôt que la responsabilité et l’intégration ?

J’ai déposé un amendement d’appel visant à ouvrir notre marché du travail aux demandeurs d’asile, à l’image de ce que pratique la Suède. Je propose sinon, comme solution de repli, de réduire le délai d’accès au marché du travail de neuf à six mois. Le nombre de personnes concernées serait limité et une telle expérience serait riche d’enseignements pour envisager une évolution de notre politique d’accueil des réfugiés.

La fermeture du marché du travail aux demandeurs d’asile a un coût élevé, non seulement pour les individus auxquels on impose l’inactivité, mais aussi pour les sociétés d’accueil.

J’ai bien conscience que prôner une telle ouverture est politiquement incorrect en période de chômage et d’immigration élevés, mais le débat mérite véritablement d’être lancé.

Il ne s’agit pas d’ouvrir inconsidérément les portes de notre territoire, mais simplement de donner aux demandeurs d’asile les moyens de sortir de l’assistanat et de s’intégrer.

Une telle libéralisation peut aussi aller de pair avec une sévérité accrue vis-à-vis de ceux qui déposent des demandes d’asile manifestement illégitimes. Je soutiens les amendements déposés en ce sens, notamment ceux qui prévoient que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA a statué, vaut obligation de quitter le territoire français, ou que l’étranger débouté de sa demande d’asile ne peut, à un autre titre, solliciter un titre de séjour.

La politique de l’Europe « forteresse » fait, naufrage après naufrage, la preuve de son échec. Les politiques uniquement répressives sont coûteuses et inefficaces, mais il est inadmissible que seule une petite minorité des déboutés de l’asile soit effectivement éloignée de notre territoire. L’alternative n’est pas une ouverture sans contrôle de nos frontières.

Il s’agirait plutôt de miser sur les aspirations profondes des demandeurs d’asile. S’ils ont risqué leur vie pour venir en France, ce n’est pas pour vivre à nos crochets. Donnons-leur les moyens de reconstruire leur vie, de s’autonomiser, de s’intégrer.

Ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile est le seul moyen de sortir du dilemme entre une générosité irresponsable et laxiste, source de dérives budgétaires, et un pseudo-réalisme nous conduisant au repli identitaire, qui s’avère chaque mois plus difficile à mettre en œuvre.

N’oublions pas, enfin, que la politique de l’asile et la politique d’immigration ne peuvent être découplées de notre diplomatie globale. Prévenir l’afflux de migrants suppose de s’impliquer beaucoup plus activement en amont, non seulement par le biais de l’aide publique au développement, de la communication et de l’éducation, mais aussi par une meilleure coopération policière, pour lutter contre les réseaux de passeurs, et par la diplomatie.

Il faut une réponse européenne globale qui développe le travail en amont. C’est toute notre politique migratoire européenne qu’il nous faut revoir aujourd’hui, avec humanisme mais aussi avec fermeté, lucidité et courage.

(Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Extrait de la réponse de Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur :

Madame Garriaud-Maylam, vous avez particulièrement fait porter votre propos sur la question de l’accès au travail des demandeurs d’asile, développant à cette occasion une réflexion et une argumentation abouties. J’espère ne pas trahir votre raisonnement, et montré par là que je vous ai écoutée avec attention, en résumant ainsi votre propos : il faut créer les conditions pour permettre une mise au travail la plus rapide possible des demandeurs d’asile en évitant absolument l’assistanat, et, à cet égard, le texte tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale pourrait être grandement amélioré.

Précisément, madame Garriaud-Maylam, j’ai donné un avis favorable à un amendement défendu par votre collègue députée Sandrine Mazetier qui tendait à instaurer un délai de neuf mois ; passé ce délai les demandeurs d’asile devaient avoir accès à l’emploi ainsi qu’à la formation professionnelle. Cet amendement me semblait relever d’un bon équilibre.

Vous proposez d’aller au-delà, seulement je ne suis pas certain que cela facilitera l’insertion professionnelle des demandeurs d’asile, et je redoute que l’on renforce ainsi l’appel d’air et l’attractivité de la France. Or vous redoutez justement que la France ne soit exposée plus que d’autres pays à ce risque. Il faut choisir sa stratégie, on ne peut se fixer les deux objectifs à la fois.

Les débats que nous aurons sur ce projet de loi seront sans doute l’occasion d’approfondir la réflexion sur le sujet, et je pense que l’examen de certains amendements nous permettra de traiter cette question.