Avr 28 2016

Loi Numérique : les sénateurs grillent la priorité au logiciel libre

Article publié par NextInPact le 28 avril 2016 :

Dans le cadre des débats autour du projet de loi Lemaire, les sénateurs ont finalement refusé d’accorder la priorité au logiciel libre dans la vie des administrations. En lieu et place, ils ont adopté un amendement du groupe socialiste se limitant à encourager ces licences.

Hier soir dans l’hémicycle, il n’y aura pas eu le big bang espéré par les partisans du logiciel libre. Alors que plusieurs amendements militaient pour donner une véritable priorité à cet univers dans les marchés publics, les sénateurs ont préféré se rallier à l’amendement porté par Jean-Pierre Sueur (PS) visant à encourager ces licences.

En sortie de débat, l’article 9 ter adopté indique que les administrations « veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information ». Dans un second alinéa, il leur est demandé d’encourager « l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d’information ».

Dans le fil des débats, le rapporteur pour avis de la Commission des affaires économiques a considéré qu’il ne fallait « pas faire du logiciel libre un dogme », Bruno Sido ajoutant que « la question de la souveraineté est essentielle. De nombreuses affaires d’espionnage, d’écoutes, ont été révélées récemment. La sécurité devrait nous inciter à choisir des logiciels nationaux, afin d’éviter de se mettre entre les mains de ceux qui cherchent sans cesse à savoir ce que nous faisons ».

Pour Jean-Pierre Sueur, la rédaction de son amendement draine avec elle « un enjeu de souveraineté, une garantie de souplesse et d’adaptabilité, de maitrise technologique, de pérennité des données, d’indépendance à l’égard des fournisseurs ». Pas moins.

Veiller à préserver, encourager à… Derrière ce discours technico-marketing, plébiscité par Axelle Lemaire, se cache une simple déclaration de bonnes intentions, pour reprendre en substance l’expression de Joëlle Garriaud-Maylam (LR). Même analyse de l’UDI Philippe Bonnecarrère : « l’amendement de M. Sueur est d’intention et n’a aucun caractère normatif ».

En pratique, si la disposition est conservée par les députés, une administration aura la lointaine obligation de veiller à préserver « la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information ». Préserver, c’est porter soin, faire attention. Pas plus.

Cet objectif brumeux est avant tout de la poésie, une inaccessible étoile. Sauf cas très particulier, en effet, aucune administration n’a de maitrise sur la conception même du matériel – généralement asiatique – qui propulse son système d’information. Un acte administratif ne pourra ainsi être annulé au prétexte que l’acteur public n’a aucune idée du code caché dans les tréfonds du BIOS de son rutilant PC. L’encouragement à l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts est du même acabit. Chaque administration pourra, après quelques gesticulations, faire mine d’avoir rempli ce critère dans son quotidien, sans menace particulière.

Le maigre mérite de l’amendement socialiste sera de surligner ce concept flou d’indépendance des systèmes d’information. À tout le moins, il permettra de questionner le gouvernement lorsque celui-ci viendra passer tel marché au profit d’un éditeur américain de logiciel propriétaire (ou privatif, c’est selon). Une pratique soigneusement entretenue par l’actuel exécutif dans le secteur de la défense ou de la santé.

« C’est une occasion manquée pour le parlement, déplore Frédric Couchet, membre de l’April, l’association pour la promotion du libre. Un encouragement n’est ni normatif ni suffisant face aux enjeux en présence. Comme cela a été dit, c’est un amendement de bonnes intentions ». Notre interlocuteur salue néanmoins « cette heure de débats de qualité où plusieurs intervenants ont expliqué les avantages du logiciel libre. On sent donc une progression sur le sujet, même si on regrette qu’ils n’aient pas été au bout de leur logique ».

Autre point positif, « plusieurs amendements voulant accorder la priorité au libre ont été déposés par des groupes de différentes couleurs, notamment chez Les Républicains ». Frédéric Couchet y croit néanmoins : « Un jour ou l’autre cette priorité sera inscrite dans la loi, car c‘est le sens de l’histoire. »