Mai 17 2016

Transparence financière et fiscale des entreprises internationales

Extrait du compte-rendu intégral de la séance du 17 mai 2016 :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lutter contre l’évasion fiscale est une nécessité, plus que jamais en période de crise économique. La fraude fiscale coûterait chaque année, vous le savez, entre 60 milliards et 80 milliards d’euros à la France, soit près du quart de nos recettes fiscales brutes et six fois le déficit de la sécurité sociale.

L’évasion fiscale pèse aussi sur la capacité de la communauté internationale à résoudre collectivement les grands problèmes globaux, tels que le sous-développement ou le réchauffement climatique. En 2010, les pays en développement ont vu s’envoler vers les paradis fiscaux plus de 850 milliards de dollars, soit dix fois les montants d’aide internationale reçue cette même année.

Les stratégies d’optimisation et de transfert vont aussi de pair avec les fléaux du blanchiment de l’argent criminel et de la corruption. C’est ce que souligne notamment le GOPAC, l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption, dont je promeus le développement en France. Outre l’enjeu éthique, c’est aussi le principe de saine concurrence qui est mis à mal. Et je ne parle pas du coût politique de scandales comme celui des « Panama papers » !

Il y a beaucoup d’hypocrisie autour de l’évasion fiscale. D’un côté, et c’est bien facile, mes chers collègues, on assimile les expatriés à des exilés fiscaux ; de l’autre, on ne prête pas attention aux montants colossaux détournés de la fiscalité française par certains grands groupes. Le Gouvernement ne montre pas toujours l’exemple, comme lors du renouvellement du contrat entre le ministère de la défense et Microsoft Europe. Ayant son siège social à Dublin, l’entreprise ne paie que très peu d’impôts en France, malgré un récent redressement fiscal.

Il y a beaucoup d’hypocrisie aussi dans la riposte aux « Panama papers ». Placer un État sur une liste noire a des retombées diplomatiques graves, mais une efficacité fiscale quasiment nulle, surtout tant que d’autres territoires, y compris au cœur de l’Europe ou des États-Unis, restent en dehors de la liste. Le seul impact est médiatique, symbolique. Plutôt que de stigmatiser certains pays, mieux vaudrait mettre en place des mesures pour dissuader nos ressortissants et nos entreprises de s’engager dans de telles aventures fiscales. Dans la mesure où certains montages ne sont pas illégaux et bénéficient d’une zone grise, la meilleure arme reste la transparence.

C’est ce que propose la présente proposition de loi. C’est la raison pour laquelle, malgré les réticences de la commission des finances et de plusieurs groupes politiques, je suis, à titre personnel, plutôt favorable à ce texte. (Marques de satisfaction et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Il est reproché à cette proposition de loi d’aller plus loin que ce que préconise la Commission européenne. Mais se retrancher derrière de futures évolutions européennes me semble peu responsable. Faire de l’Europe le bouc émissaire de notre propre inertie est aussi le meilleur moyen de détourner les citoyens de la construction communautaire, d’autant que, en l’occurrence, les mesures préconisées ne créent pas de dumping : elles n’ont trait qu’à la transparence, pas à des évolutions directes de la législation fiscale. Si une transparence accrue devait conduire des entreprises à payer plus d’impôts, c’est bien parce qu’elles auraient profité de l’opacité pour contourner la loi.

L’autre argument est celui du dévoilement d’informations susceptibles d’être utilisées par des concurrents. Là non plus, je ne suis pas totalement convaincue, même si la compétitivité de nos entreprises à l’international est une de mes très grandes préoccupations.

S’agissant des grandes entreprises, qui sont les seules à être concernées par le texte, les concurrents ont déjà facilement accès aux informations que la proposition de loi propose de dévoiler. Les informations seraient agrégées par pays, et non par filiale, ce qui limiterait les risques d’exploitation par les concurrents. Notons d’ailleurs que les plus petites entreprises fournissent déjà la plupart de ces informations à travers le registre du commerce, consultable par tous. Généraliser la transparence serait donc sain pour la concurrence.

La dernière divergence majeure porte sur le degré de dévoilement des informations : ces dernières ne doivent-elles être accessibles qu’à la seule administration fiscale ou doivent-elles l’être de manière plus large, notamment aux journalistes, aux associations et aux ONG travaillant sur ces questions ? Ne nous voilons pas la face, si les dernières affaires ont pu être mises au jour, c’est bien grâce à la persévérance de la société civile. S’agissant de pratiques non éthiques, mais profitant d’un certain flou juridique, et donc d’une relative légalité, l’administration n’a souvent pas les moyens d’agir. Seule la transparence publique peut faire bouger les lignes.

Certaines dispositions du texte mériteraient d’être retravaillées, comme l’ampleur exacte des informations à divulguer ou le seuil à partir duquel il est pertinent d’imposer l’exercice de transparence aux entreprises. Pour ces raisons, je m’abstiendrai sur ce texte, même si, je le répète, je suis globalement favorable à l’esprit de cette proposition de loi.

M. Thierry Foucaud. Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’espère en tout cas que le débat d’aujourd’hui, dont l’issue semble connue d’avance si l’on en juge par les prises de position de mes collègues, nous aidera à préparer des avancées constructives dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, sur lequel nous aurons bientôt à nous prononcer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)