Géopolitique (8 et 11 juillet)

Le 8 juillet 2019, j’ai parrainé et introduit le colloque « Le Golfe Persique : une dynamique de crise perpétuelle » au Sénat. Je tiens à féliciter Loïc Tribot-La Spiere, président du think tank CEPS (Centre d’études, de prospective et de stratégie) pour son organisation.

A l’échelle historique, l’apparition et le développement depuis quelques décennies sur la côte ouest de nombreux états arabes est très récente.

Le Golfe est depuis 27 siècle la grande voie d’échange entre la Méditerranée et l’Océan Indien. L’Empire Perse s’y est mis en place, de l’Indus aux rives du Levant. Il fut à ce point essentiel qu’il y a 23 siècles les Grecs établirent un comptoir sur la petite île de Faylaka au large de l’actuel Koweït.

Au Moyen Age avec l’Empire arabe des Abassides de Bagdad, le Golfe est au centre de l’embryon de commerce mondial. Les marins partent de Bassorah sur le Chatt-Al-Arab et naviguent poussés par la mousson (un mot arabe) vers tous les ports de l’Océan Indien.

Mais c’est aussi l’époque où l’Empire Perse se reconstitue, celui des Séfévides. Il s’appuie sur l’Islam Chiite dont les principaux sanctuaires sont en Mésopotamie.

Deux siècles plus tard l’Empire Ottoman remplaça l’Empire Perse, mais ne parvint à prendre le contrôle que de la partie nord du Golfe.

Au XVIème siècles les Européens sont de retour et les Portugais qui ont franchi le Cap de Bonne Espérance prennent le contrôle du Détroit d’Ormuz pour supplanter le commerce arabe avec l’Inde. Les Hollandais chassèrent les Portugais avant de laisser la place aux Britanniques. Au XVIIIème siècle les navires de l’East India Company, devenue progressivement maître de l’Inde, remontent régulièrement jusqu’au Koweït, forteresse contrôlée par une tribu arabe. L’Emirat devient une étape majeure de la route des Indes : Gibraltar, Malte, Chypre, Haïfa avant de traverser le désert de Syrie …. Puis d’arriver à Koweït…. Où on embarque pour Bombay.

Pour éviter que leurs navires ne soient attaqués par les pirates qui s’abritent dans les ports, les Britanniques passent en 1823 un accord avec eux et leur versent un tribut. La Côte des Pirates devint alors la «Trucial Coast » ou Côte de la Trêve. Progressivement ces accords se transformeront en protectorats.

Dès 1820 les Britanniques avaient signé un accord avec le Roi du Bahreïn et sont intervenus dans un conflit contre le Qatar, finalement aussi pris sous la protection anglaise.

La percée du canal de Suez ne changea pas fondamentalement la donne et la Pax Britannica pacifia la région. Mais le Golfe un peu endormi va dès le début du XXème siècle retrouver son importance stratégique. Il y a à cela 3 raisons :

1. L’Allemagne s’allia à l’Empire Ottoman et élabora le projet de chemin de fer Berlin Bagdad, prévu jusque Bassorah et même Koweït.

2. La découverte de pétrole

3. Le début de l’épopée de Abdel-Aziz Ibn Saoud qui conquit La Mecque et unifia la péninsule arabique

Si la poussée allemande fut stoppée, la découverte du pétrole et la création de l’Arabie des Saoud modifia durablement la donne dans l’entre deux guerres.

C’est en Perse, à Bakou au bord de la Caspienne, dans l’Empire Russe que l’on trouva le pétrole. Le Shah d’Iran demanda alors aux Britanniques d’en chercher sur son territoire et leur accorda une concession. Pendant plusieurs années un riche Anglais, Knox d’Arcy en chercha dans le nord de l’Iran actuel. Au bord de la faillite il

déplaça son exploration sur les rives du Goflfe Persique là où l’o dit que du feu sort de terre. C’est le cas à Majid-i-Suleiman où il fora en 1908… avec succès. Le pétrole coule à flots et un pipeline de 200 km est construit pour l’acheminer sur le Chatt-al-Arabe. Une première raffinerie est aussi construite. En 1909 l’Anglo Persian Oil Company est fondée avec des capitaux anglais et hollandais. C’est le début d’une longue histoire entre le Golfe et le pétrole.

Dès le début du XIXème siècle, poussée par le Wahhabisme et une volonté de réformer l’Islam, la tribu des Saoud a conquis La Mecque. Mais les troupes de Mehemet Ali les en chassèrent pour le compte des Ottomans. A la fin du siècle ils retentèrent mais échouèrent à nouveau. Leur chef trouva refuge au KoWeït où il noua des liens avec les Britanniques de l’East Indian Company. Fort de leur soutien financien Abdel-Aziz Ibn Saoud reconquit sa capitale Riyad en 1902, sa région en 1904 avant de s’emparer en 1913 de toute une partie de la côte occidentale du Golfe. Le premier conflit mondial lui permit ensuite de s’emparer des côtes de la Mer Rouge.

 

C’est au lendemain de la Première guerre mondiale que les frontières des états actuels furent tracées.

Si la frontière orientale de l’Irak correspond à celle du traité de 1639 entre la Perse et l’empire Ottoman, si la frontière avec la Syrie a été tracée par le Premier ministre anglais Lloyd George et le Président du conseil Georges Clémenceau, pour la frontière sud, ce fut plus compliqué à cause de la poussée des guerriers saoudiens. Ils voulaient allaient jusqu’à l’Euphrate et annexer le Koweït. Il a fallu que la Royal Air Force intervienne pour contenir la poussée saoudienne. Les britanniques durent aussi contenir par l’aviation la poussée des saoudiens vers la méditerranée. Malgré la protection des Britanniques le chérif Hussein dut fuir La Mecque qui passa sous contrôle saoudien. Ibn Saoud noua alors une alliance avec la Californian Arab Standard Oil Company qui devint l’Aramco en 1944.

L’alliance entre Ibn Saoud et les Américains se renforça en 1945 quand se tint sur un navire de guerre dans le canal de Suez une rencontre entre Ibn Saoud et le Président Roosevelt. Les Américains obtinrent l’installation d’une grande base à Dhara en bordure du Golfe pour assurer la sécurité de l’Arabie Saoudite. En échange les Saoudiens garantissaient pour 60 ans la concession de l’Aramco, agrandie.

Bref, les frontières des principaux pays sont fixées dans l’entre deux guerres Il y a deux états modernes, l’Irak et l’Iran et un état ancré dans des traditions nomadiques, l’Arabie Saoudite. Tout serait demeuré stable sans deux retournements géopolitiques majeures. Le premier en Irak en 1958 et le second en Iran en 1979. Il s’agit des deux états les plus peuplés, les plus en contact avec les Occidentaux et les plus transformés par l’essor de la production pétrolière. Ces retournements géopolitiques sont les causes principales des 3 guerres du Golfe.

 

Aujourd’hui la crise s’est déplacée vers le Sud là où entre l’Iran et l’Arabie Saoudite se trouvent des petits états.

En comparaison de l’Irak, l’Iran et l’Arabie Saoudite, trois grands états, les Emirats – Bahreïn, Qatar et Emirats Arabes Unis – semblent bien peu de chose même s’ils regorgent de richesse..

Démographiquement ces trois états pèsent 13 millions d’habitants ( EAU 9,2 – Qatar 2,3 – Bahreïn 1,5) quand l’Arabie Saoudite en totalise 33, l’Irak 40 et l’Iran 82…..

A lui seul l’Iran en compte autant que tous les autres.

Mais si leur population est réduite et s’ils sont loin des grands champs de pétrole qui sont dan l’Upper Gulf près du Chatt el Arab, ces petits états se trouvent dans la partie la plus stratégique du Golfe, en bordure du Détroit d’Ormuz. Là se trouvent les îles occupées en 1977 par les troupes du Shah. Téhéran s’y tient. Dans le détroit comme les eaux sont peu profondes, les gros navires passent par la partie sud du Détroit . par un rail large de moins de 1 km , 16 millions de barils de pétrole sortent chaque jour du Détroit.

Face aux îles iraniennes, se trouvent 7 émirats qui depuis 1971 et le départ des Britanniques forment une fédération , les Emirats Arabes Unis.

C’est dans cette région que toutes les tensions se concentrent entre Qatar (soupçonné de liens avec l’Iran) et Arabie Saoudite, entre l’Iran et ses voisins etc….

Les principales conclusions seront présentées dans un prochain numéro de la Revue de Défense nationale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet échange fut suivi d’un dîner-débat le 11, avec notre cercle de réflexion et de prospective géopolitique « Des ailes pour l’avenir » (créé par Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation) autour de Bernard Bajolet, grand ambassadeur et ex patron de la DGSE sur le thème de l’influence française dans le monde aujourd’hui.
Je ne saurais trop vous recommander la lecture de son livre « Le soleil ne se lève plus à l’Est »