Fév 01 2013

Cap-Vert (1er-6 février 2013)

Avec le Président Jorge Carlos Fonseca

La République du Cap-Vert est un tout petit État (513 000 habitants en 2010, plus de 700 000 établis à l’étranger) mais dont l’observation est passionnante. Son histoire, sa situation géopolitique, ses ambitions et sa manière de relever les défis du monde moderne malgré les handicaps de sa situation géographique, sont riches d’enseignement et pourraient en faire un modèle pour nombre de pays d’Afrique de l’Ouest. C’est aussi un pays profondément francophone et francophile avec lequel il est indispensable de renforcer nos liens bilatéraux et notre coopération.

Situé dans l’océan Atlantique, à 600 kms de Dakar, l’archipel du Cap-Vert (membre avec les Açores, Madère et les Canaries de l’archipel de la Macaronésie) il est constitué de 10 îles, dont 9 sont habitées, et de plusieurs îlots. Découvertes en 1456 par des explorateurs portugais, ces îles alors inhabitées vont devenir une colonie portugaise en 1483. Centre important de la traite des esclaves en route pour l’Amérique, elles resteront d’une pauvreté extrême jusqu’à l’indépendance, proclamée après la révolution des œillets au Portugal, le 5 juillet 1975, Le Cap-Vert forme alors un Etat commun avec la Guinée-Bissao, dirigé par Luis Cabral, le frère d’Amilcar Céabral, fondateur en 1956 du parti pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAICG).

Il faudra attendre 1990 et la fin de quinze années de régime d’obédience marxiste dirigé par le PAICV pour que soit institué le multipartisme. L’excellente gouvernance politique et économique qui s’institue alors permet au Cap-Vert de progresser de manière spectaculaire malgré les handicaps de son isolement géographique, de son absence de richesses naturelles et d’eau douce et de ses sols volcaniques.

Aujourd’hui le Cap-Vert jouit d’un PIB par habitant trois fois supérieur à la moyenne d’Afrique subsaharienne, du troisième indice de développement humain en Afrique après les Seychelles et Maurice et d’une croissance annuelle moyenne de plus de 5% ces dix dernières années. Pour le FMI, le Cap-Vert est un des rares pays africains en bonne voie pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement.

Ile de Sal, 1er et 2 février

Il n’y a pas de liaison directe régulière de Paris au Cap-Vert et mon déplacement commencera, via une escale à Lisbonne, par l’Ile de Sal, avec la visite de la toute nouvelle « Petite école française » et une permanence à l’hôtel Morabeza pour y rencontrer les Français établis dans l’Ile.

Cette petite école française, créée il y a trois ans à peine par Paola Grassi, une jeune et dynamique franco-italienne travaillant avec son mari dans le tourisme, résume à elle seule le paradoxe de l’Ile de Sal. Une ile jusqu’à présent très pauvre et isolée mais qui s’ouvre avec enthousiasme au développement économique, essentiellement basé sur le tourisme. Elle témoigne aussi de l’engagement, du dynamisme voire de l’audace de toutes ces familles françaises qui, aux quatre coins du monde, ont été à l’origine de notre exceptionnel réseau d’écoles à l’étranger. Pour ouvrir cette école Paula a réussi à convaincre le propriétaire d’un terrain sportif un peu désaffecté de lui en confier ..les vestiaires. Après plusieurs seaux de peinture, l’aide de nombreux parents bénévoles et des sacrifices financiers, les vestiaires sont devenus une très coquette petite école près de 70 élèves de la maternelle au CM1. Une école qui suscite un intérêt croissant de la part des capverdiens et de toutes les nationalités présentes à Sal, désireuses d’offrir un enseignement de qualité à leurs enfants. Face au succès rencontré par leur école, Paola et son équipe prévoient dès à présent de l’agrandir en construisant un 2ème étage sur les vestiaires, et de demander au propriétaire de leur céder les courts de tennis pour en faire la cour de récréation et le terrain de jeux de l’école…

Sal, c’est aussi un hôtel de charme, le Morabeza, où je vais tenir ma permanence, et dont l’histoire se confond un peu avec celle de l’Ile.. En 1963 un couple d’industriels belges, Gaspard Vynckier et Marguerite, son épouse, première femme ingénieur diplômée de l’Université Libre de Bruxelles découvrent Sal et décident d’y construire une maison de vacances pour échapper aux frimas européens qui fragilisent la santé de Marguerite. Avec leur fils Georges, qui a épousé une française, ils introduisent le chauffage de l’eau par capteurs solaires paraboliques à miroir puis par capteurs plans solaires, une éolienne, un distillateur à osmose inverse, une centrale électrique et une station d’épuration. Lorsque la compagnie aérienne d’Afrique du Sud se voit boycottée par tous les pays africains pour l’établissement d’une escale de ravitaillement de ses avions et de rotation de ses équipes, c’est le Cap-Vert qui l’accueille. La piste de Sal est une des plus grandes au monde (une des rares à pouvoir accueillir, encore aujourd’hui, les Antonov russes !) mais il n’y a nulle part eau courante et électricité, en dehors de la maison des Vynckier.. On leur demande d’ouvrir quelques chambres pour le personnel de la compagnie, et peu à peu la maison de vacances va se transformer en hôtel, au beau nom de Morabeza. A la disparition de Georges en 2008, la municipalité de Sal a décidé de rendre un magnifique hommage à ce pionnier et bienfaiteur de l’Ile. La rue la plus animée de Santa-Maria, en prolongement du ponton où se retrouvent pêcheurs et acheteurs de poisson frais, porte désormais son nom et présente fièrement un buste à son effigie. Et c’est Sophie, la fille de Georges qui dirige aujourd’hui l’hôtel. Avec son mari Charles Marchellesi, compositeur et guitariste qui a su s’imprégner de l’atmosphère si particulière de l’Ile en composant de merveilleuses mélodies où se mêlent patrimoines musicaux et influences poétiques de Corse et du Cap-Vert, ils font vivre au quotidien cet hôtel qui incarne très bien la Morabeza (gentillesse, douceur en « créolou, » la langue du pays).

A Sal , j’ai aussi l’occasion d’observer le travail « sur le terrain » d’un Consul honoraire de France.. non français. Benoit Vilain est en effet un citoyen belge, mais il met au service de notre pays ses compétences, son dynamisme et son amour de la France. Je suis toujours émerveillée de voir le travail de ces consuls honoraires étrangers, bénévoles et désintéressés, ayant comme satisfaction essentielle le plaisir d’aider notre pays et ses concitoyens. Depuis déjà longtemps, j’essaie de convaincre nos autorités de leur accorder un peu plus d’attention, avec par exemple l’organisation d’une journée annuelle d’accueil autour de laquelle ils pourraient rencontrer les responsables du Quai d’Orsay, de nos Assemblées parlementaires, qui serait un moyen de leur témoigner notre gratitude. Il faudrait aussi réfléchir à une manière de leur faciliter l’accès à la nationalité française, qui serait pour eux non une adhésion de circonstances ou d’intérêt, mais bien une adhésion de cœur, une manière de montrer leur adhésion à nos valeurs et qui serait utile à nos compatriotes, seuls les consuls honoraires de nationalité française étant par exemple habilités à établir des procurations (voir mon post à ce sujet).

Praïa, 3-5 février

A Praïa, capitale administrative du Cap-Vert qui se situe sur l’île de Santiago, ma visite sera, outre mes rencontres avec notre petite communauté française (notamment visite de l’école internationale Les Alizés, de l’Institut culturel et réception donnée par l’Ambassadeur avec invitation de toute la communauté) essentiellement axée sur des rencontres bilatérales avec notamment M. Bailio Ramos, président de l’Assemblée nationale , Ulisses Correia e Silva, le maire de Praïa, S.E. José Luis Rocha, Secrétaire d’Etat en charge des affaires étrangères et le Président de la république cap-verdienne, Jorge Carlos Fonseca.

Tout au long de mon séjour à Praïa , j’ai été très frappée par la très grande qualité de ces personnalités politiques que j’ai eu le privilège de rencontrer grâce à notre excellent Ambassadeur Philippe Barbry (dont j’avais déjà pu apprécier la très grande efficacité il y a 20 ans lorsque j’étais membre du Conseil supérieur des Français de l’étranger pour le Royaume-Uni et l’Irlande et qu’il était Consul général adjoint à Londres..) Des personnalités politiques entièrement tournées vers la réalisation de leurs ambitions pour le Cap-Vert,

Au-delà du tourisme, qui compte pour 10% du PIB, les autorités capverdiennes veulent en effet faire du pays un centre international de commerce et de prestations de services et une place financière régionale. Mais l’insuffisance en infrastructures (électricité et transports, notamment entre les îles de l’archipel) et les difficultés d’accès aux financements bancaires freinent les investissements privés, la balance commerciale reste structurellement déficitaire, et le chômage reste très important dans la plupart des îles.

Pourtant, comme j’aurai l’occasion de le dire à la fois dans mon discours à la communauté française et aux télévisions et radios qui m’ont interviewée à plusieurs reprises, ce pays peut être fier des progrès accomplis ces dernières années, malgré un contexte difficile, fier de sa gouvernance démocratique, fier aussi de la qualité de ses dirigeants, francophones, francophiles, responsables entièrement concentrés sur les moyens de continuer le développement de leur pays, fiers de leur belle réussite, mais aussi inquiets des répercussions de la crise économique mondiale sur leur pays, sans ressources propres, sans industries à l’économie basée essentiellement sur le tourisme (10% du PIB) les taxes versées par les compagnies aériennes et les envois d’argent par la diaspora émigrée en Europe et aux Etats-Unis, une diaspora plus nombreuse que les habitants dans le pays, soit 700 000 environ, dont 100 000 au Portugal et 35 000 en France.

C’est d’ailleurs un des paradoxes les plus agaçants de notre système d’aide au développement, qui au lieu de récompenser la vertu et le mérite, tend à pénaliser ceux qui ont fait des efforts conséquents. Le Cap-Vert, grâce à sa bonne gouvernance et à ses efforts de gestion est passé en janvier 2008, sur décision de l’ONU, de sa liste des PMA (pays les moins avancés) à celle de PRI (pays à revenus intermédiaires) tout en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) . C’était là un magnifique succès pour ce petit pays, mais un succès qui a eu aussi de graves inconvénients, amplifiés par la crise économique mondiale aux effets de laquelle le Cap-Vert n’a pu échapper. L’aide internationale a été soudain perçue comme moins impérative par les bailleurs de fonds, eux-mêmes touchés par la crise budgétaire.. A titre comparatif, c’est le Mali qui a toujours été le premier récipiendaire de notre aide publique au développement, avec les résultats que l’on connaît au niveau des structures étatiques..

Le bon élève, qui a su résister à la crise économique en prenant des mesures de réduction de la pression fiscale et en renforçant l’investissement public, a donc été paradoxalement pénalisé par ses bons résultats, et tous mes interlocuteurs ne cesseront d’insister sur la nécessité d’un maintien de notre coopération pour accompagner les réformes et développements en cours. Certes un plan d’action pour un « partenariat spécial » avec l’Union européenne a été signé en novembre 2007 mais notre aide bilatérale directe a été considérablement réduite. Elle passe aujourd’hui uniquement par l’AFD avec un prêt en 2012 de 22,2 millions d’Euros pour la désalinisation de l’eau de mer à Sal et Sao Vicente, et des travaux en cours d’adduction d’eau et d’assainissement, financés aussi par l’AFD pour 10 millions d’Euros. Mais rien d’autre n’est prévu pour l’instant hélas. Nos FSP (Fonds Spéciaux Prioritaire) pour ce pays, notamment en matière de gouvernance démocratique, de coopération policière et d’enseignement du français, sont tous arrivés à échéance et ne seront malheureusement pas renouvelés, alors même que ce pays a besoin plus que jamais, du fait de la crise, d’une vraie coopération.

Même nos relations économiques sont extrêmement limitées (nos exportations atteignent 10 M Euros seulement et nos investissements directs sont inférieurs à 1 million d’Euros. Notre Ambassade, dans une maison louée à des Sénégalais, ne me semble pas digne de notre pays. Nous possédons pourtant un grand et magnifique terrain au centre de Praïa où nous pourrions construire une belle Ambassade, quitte à partager le terrain avec l’Union européenne. Une idée à laquelle l’Ambassadeur représentant l’UE au Cap-Vert, S.E. José Manuel Pinto Teixeira, avec lequel j’ai pu longuement m’entretenir de la stratégie européenne de coopération avec ce pays, est très favorable, leurs propres locaux étant très mal adaptés aux missions de l’Union européenne dans ce pays.

Le renforcement de nos liens avec le Cap-Vert, à un moment où les Etats-Unis montrent un intérêt croissant pour l’archipel (visite d’Hillary Clinton en 2009 et en 2012, financement pour 3 millions de dollars du COSMAR , centre des opérations de sécurité maritime) présenterait pourtant un grand intérêt stratégique pour nos pays. Il nous permettrait d’affirmer notre influence et nos valeurs dans un pays qui est un exemple de bonne gouvernance et de développement en Afrique.

Une meilleure coopération civile et militaire nous permettrait aussi de renforcer notre propre sécurité, le Cap-vert étant au croisement des flux de nombreux trafics de drogue et d’armes mais aussi de migrants clandestins.

La présence française au Cap-Vert :

425 personnes seulement étaient enregistrées au Registre en décembre 2012, dont 42% de binationaux et l’on estime à moins de 100 les français résidents non enregistrés.

Mais cette communauté progresse, un nombre croissant de touristes se rendant au Cap Vert (près de 23 000 Français y auraient passé une moyenne de 5 jours pendant le premier semestre 2012) et, pris au charme de l’Ile, décidant ensuite de s’y installer pour une retraite paisible ou pour y créer une petite activité de maison d’hôtes ou de petit hôtel. J’aurai d’ailleurs le plaisir d’aller découvrir en compagnie de l’Ambassadeur, du Conseiller culturel François Belorgey et du Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères une magnifique maison d’hôte construite au centre de l’Ile par un couple de Franco-Cap-verdiens, l’Orchidée noire.

Sont également présentes l’entreprise de déménagements et transports AGS et une ONG française ESSOR, dont un des animateurs travaille à la création d’une petite entreprise fromagère. Venu à Sal pour la réception de l’ambassadeur avec ses tout premiers fromages de chèvre, ceux-ci ont reçu un accueil triomphal..

Cette petite communauté française se retrouve essentiellement autour de l’Institut français et l’école internationale Les Alizés, créée par quelques familles en 1991 à Praia et homologuée pour le primaire en 2000. Le CNED est utilisé pour le secondaire. Elle accueille 210 élèves de 15 nationalités différentes dont 17 français.

L’Institut français a tout récemment déménagé pour s’installer dans un magnifique bâtiment, mais hélas totalement excentré. Alors qu’il se trouvait auparavant au centre historique de Praïa, sur « Le Plateau », et bénéficiait d’une fréquentation assidue des capverdiens, sa nouvelle localisation, loin de lignes de bus et hors du centre a entraîné une sérieuse baisse de fréquentation. Au point qu’un nouveau déménagement est sérieusement envisagé…