Mar 18 2013

Représentation des Français hors de France – motion d’irrecevabilité

Considérant que ce projet de loi viole la Constitution, j’ai déposé une motion d’irrecevabilité, que j’ai défendue avec les arguments suivants :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, deux dispositions du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France portent atteinte à des principes constitutionnels. Il s’agit, d’une part, de l’amputation du mandat des conseillers à l’AFE de la série A et, d’autre part, des nouvelles modalités de scrutin pour l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger.

Concernant la question de la manipulation de la durée des mandats, j’ai exposé tout à l’heure les motifs pour lesquels la prorogation du mandat des élus de la série B me semblait inconstitutionnelle. J’ai notamment souligné la gravité d’une prolongation du mandat d’une moitié des élus d’une assemblée, dans le contexte spécifique où celui de l’autre moitié se trouvait amputé. Je n’y reviendrai donc pas maintenant.

Je voudrais seulement préciser quelques éléments concernant le raccourcissement du mandat des élus de la série A, tel qu’il est prévu à l’alinéa 2 de l’article 37 du projet de loi.

Je suis choquée par le flou entourant cette amputation du mandat de 79 conseillers élus au suffrage universel.

Alors qu’un projet de loi spécifique a été consacré à la prorogation du mandat des élus de la série B, aucune des deux études d’impact jointes aux deux projets de loi dont nous sommes en train de débattre ne prend la peine d’analyser les fondements ni les conséquences juridiques du raccourcissement du mandat des élus de la série A.

Ces silences traduisent la gêne bien compréhensible du Gouvernement sur cette question. De surcroît, les réponses apportées par M. le rapporteur qui, lui, semble bien conscient de l’existence d’un problème constitutionnel, me semblent bien rapides eu égard à l’importance des enjeux.

Lors de son audition par la commission des lois de l’AFE, le directeur de cabinet de Mme la ministre déléguée a éludé le problème en expliquant qu’aucun mandat ne serait amputé, puisque l’assemblée elle-même serait dissoute. Mais une telle dissolution est-elle vraiment constitutionnelle ?

En effet, cette possibilité n’est prévue ni dans la loi du 7 juin 1982 ni dans le décret n° 84-252 du 6 avril 1984 portant statut de l’Assemblée des Français de l’étranger.

En revanche, nous pouvons, par analogie, examiner l’article L. 3121-5 du code général des collectivités territoriales, applicable aux conseils généraux, selon lequel une dissolution n’est justifiée que « lorsque le fonctionnement d’un conseil général se révèle impossible ». Il y est même précisé que « la dissolution ne peut jamais être prononcée par voie de mesure générale ».

C’est d’ailleurs cette « impossibilité de fonctionner » qui a conduit le Conseil constitutionnel à valider la dissolution de l’Assemblée de Polynésie, en 2007, du fait de « l’instabilité chronique » y prévalant. Or il est difficile de diagnostiquer une situation semblable à l’AFE, où de nombreuses résolutions sont votées à l’unanimité. Mme la ministre déléguée aux Français de l’étranger a d’ailleurs, lors de chacune de ses interventions devant cette assemblée, tenu à rendre un hommage mérité au travail de ses élus.

La réforme n’est légitimée que par la volonté d’améliorer un certain nombre de dispositifs et ne revêt donc aucun caractère d’urgence susceptible de justifier une cessation anticipée des activités de l’assemblée, mesure assimilable à une dissolution de fait.

Comme je l’ai indiqué dans mon intervention précédente, il aurait été tout à fait possible d’éviter de manipuler les durées des mandats, en mettant en œuvre la réforme de l’AFE à partir de 2016, à l’expiration du mandat des élus de la série A.

Présentée dans l’urgence, sans concertation véritable, sans tenir compte de l’avis des personnes qui connaissent le mieux le système de représentation des Français de l’étranger, cette réforme est manifestement impropre à atteindre l’objectif affiché par le Gouvernement, à savoir renforcer la démocratie de proximité et la participation électorale.

Venons-en maintenant au second problème d’ordre constitutionnel soulevé par ce projet de loi. Il concerne une nouvelle modalité du scrutin pour les élections sénatoriales, présentée à l’alinéa 3 de l’article 33 octies.

Il s’agit d’autoriser le vote des électeurs français de l’étranger « sous enveloppe fermée, remise en mains propres, à un ambassadeur ou chef de poste consulaire de leur circonscription d’élection, au plus tard le deuxième jeudi qui précède le scrutin ».

Comme l’a très justement fait remarquer Christian Cointat, cette proposition nous ramène en 1977 ! Un pareil système de transfert des enveloppes de vote de l’étranger à Paris avait en effet été proposé pour les élections législatives. La commission des lois du Sénat avait alors estimé que ce système de transfert des bulletins de vote était dangereux, car il ne permettait pas d’assurer le respect du secret du vote. L’Assemblée nationale l’avait purement et simplement supprimé, le président de la commission des lois ironisant même sur ces urnes dotées d’ailes. Drôle de réforme de modernisation de l’AFE, qui nous ferait adopter aujourd’hui des dispositions déjà jugées archaïques et anticonstitutionnelles il y a près de quarante ans !

Notre commission des lois elle-même reconnaît ce risque puisqu’elle « formule les plus grandes réserves à l’égard du vote par remise en mains propres ». Mais, au lieu d’en tirer toutes les conséquences en demandant la suppression de ce mode de votation hasardeux, elle se contente d’indiquer qu’elle a souhaité « de manière pragmatique », conserver « la faculté du vote par correspondance, mais à titre de modalité subsidiaire ». Que de contorsions sémantiques, mes chers collègues ! Soit ce mode de vote est dangereux, et il faut donc le supprimer ; soit il ne l’est pas, auquel cas il doit être conservé au même titre que le vote à l’urne, et non à titre subsidiaire !

La commission prétend mieux encadrer cette modalité, mais se contente de prévoir la remise d’un récépissé à l’électeur et de renvoyer à un décret au Conseil d’État le soin de déterminer par décret les conditions d’enregistrement et de conservation des enveloppes de vote. La rédaction actuelle de cet alinéa, malgré les modifications marginales apportées en commission, ne me semble nullement en mesure de garantir le secret du vote ni la sincérité du scrutin.

Si les isoloirs et les urnes ont été inventés, c’est bien pour remédier aux lacunes du vote « de la main à la main ». Accepterait-on, en France, que les enveloppes de vote soient remises au préfet au lieu d’être glissées dans l’urne ? Je ne doute pas une seconde de l’intégrité morale des ambassadeurs et chefs de poste consulaires auxquels ces enveloppes de vote seraient confiées. Cependant, il ne me semble pas judicieux d’instituer un dispositif susceptible de créer la suspicion et de multiplier les recours. De même, je note qu’aucune garantie d’intégrité et de sauvegarde des enveloppes de vote n’est apportée en ce qui concerne leur transport jusqu’au bureau de vote central, à Paris.

Il est tout de même paradoxal que le projet de loi supprime la possibilité de vote par correspondance pour les élections des élus locaux des Français de l’étranger – ce dont le rapporteur de la commission des lois se félicite – et la rétablisse, sous une forme abâtardie, pour les élections sénatoriales !

Cette situation est d’autant plus absurde qu’une autre solution existe : celle d’un vote électronique ou sur machine à voter à partir des consulats. S’abriter derrière le surcoût que la mise en place d’un tel dispositif engendrerait est absurde, l’essentiel de l’investissement ayant déjà été réalisé à l’occasion de la préparation des législatives de juin 2012.

Une fois encore, au lieu de prendre le temps de mettre en place des mesures de bon sens garantissant la sincérité du scrutin, le Gouvernement opte pour le coup de force, au mépris de notre Constitution.

Au nom du respect dû au suffrage universel, auquel nous sommes tous également attachés sur ces travées, je vous demande, mes chers collègues, de voter en faveur de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

RÉSULTAT DU SCRUTIN :

Nombre de votants 316

Nombre de suffrages exprimés 316

Majorité absolue des suffrages exprimés 159

Pour l’adoption 140

Contre 176