Déc 20 1997

Liens entre les Européens vivant à l’étranger et leur Etat d’origine (Rapport pour le Conseil de l’Europe)

Le rapport suivant, demandé à Joëlle Garriaud-Maylam, expert auprès du Conseil de l’Europe et membre du Conseil supérieur des Français de l’étranger, a été présenté lors de la Conférence parlementaire organisée en juin 97 sur le thème des Européens vivant à l’étranger et leurs liens avec leur pays d’origine. Le rapport a été ensuite repris dans son intégralité par la Commission des migrations (rapporteurs : Madame Manuela Aguiar, Portugal, député du Parti Populaire et ancien ministre des Portugais à l’étranger, et Madame Ana Guirado, Espagne, député du Groupe Socialiste) et adopté à l’unanimité par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 5 mars 1999. (Doc.8339.www.coe.fr)

COMMISSION DES MIGRATIONS, DES RÉFUGIÉS

ET DE LA DEMOGRAPHIE

CONFERENCE SUR LES LIENS ENTRE LES EUROPÉENS

VIVANT A L’ETRANGER ET LEUR ETAT D’ORIGINE

Paris, 10-11 juin 1997

Sénat, Palais du Luxembourg

Paris Vième

_______

Rapport introductif

Par

Joëlle Garriaud-Maylam

Expert-Consultant

Membre du Conseil supérieur des Français de l’étranger

« Une nation n’est pas seulement
une communauté de territoire,
de langue ou de culture,
elle doit être aussi une
communauté de souvenir,
d’affection et d’espérance« 

Fustel de Coulanges

AVANT-PROPOS

Le document ci-après a été réalisé à la demande de la Commission des Migrations, des Réfugiés et de la Démographie du Conseil de l’Europe, en accompagnement de son colloque « Les liens entre les Européens établis à l’étranger et leur Etat d’origine »  des 9, 10 et 11 juin 1997 à Paris.

Ce sujet, jusqu’à présent largement inexploré, est aussi particulièrement vaste et complexe, car intégrant de grandes diversités de conceptions et d’approches – sociologiques, culturelles, juridiques ou économiques –  et des initiatives multiformes et hétérogènes. Chaque pays a en effet, en ce qui concerne ses activités en direction de ses ressortissants expatriés, ses traditions, son organisation administrative et ses modes d’action propres.

Dans les limites qui lui ont été imposées, et dans le but de faciliter les débats lors du colloque, cette étude tente de procéder à une première approche synthétique du sujet, en essayant d’en dégager les lignes directrices et de souligner les initiatives particulièrement originales. Elle souhaite également jeter les premières bases de ce qui pourrait être une réflexion prospective à moyen et long terme sur la nature, la spécificité et l’avenir des liens entre les expatriés et leur Etat d’origine.

La méthode adoptée pour le collationnement des données a été celle d’entretiens systématiques avec les différents ministères ou représentations diplomatiques et consulaires de chacun des 40 Etats membres. Mais une telle étude ne peut être que parcellaire et toutes les observations et compléments d’information seront recueillis avec reconnaissance au Secrétariat de la Commission des Migrations du Conseil de l’Europe.

Elle est également subjective par nature; les idées ou propositions avancées sont celles de l’auteur et n’engagent que sa seule responsabilité.

Joëlle Garriaud-Maylam

Mai 1997
SOMMAIRE

INTRODUCTION p.3

I.   LE FAIT MIGRATOIRE EUROPEEN p.5

II.  LES ETATS FACE A L’EXPATRIATION p.8

II.1. Une grande hétérogéneité des attitudes  nationales p.8

II.2. Les avantages réciproques d’un soutien à  l’expatriation p.10

III. LES MESURES PRISES PAR LES ETATS     P.12

III.1 Les mesures structurelles p.12

III.2 les initiatives en matière culturelle et linguistique p.14

III.3 Les droits politiques p.16

i. Le droit de vote p.16

ii. Une représentation parlementaire spécifique p.18

iii. La représentation institutionnelle p.19

IV. POUR UN RENFORCEMENT DES LIENS ENTRE EXPATRIES ET ETAT      D’ORIGINE p.21

IV.1 Les obstacles rencontrés par les expatriés p.21

i. Des discriminations sociales et fiscales

ii. Les problèmes liés au droit de la nationalité

iii. Le difficile exercice des droits politiques p.23

IV.2 Quelques propositions à l’échelle nationale p.24

i. Un encouragement à l’immatriculation

ii. Des droits politiques renforçés

iii. Des mesures concrètes d’accompagnement

IV.3 Des éléments de réflexion à l’échelle européenne

i. L’exemple de l’Union européenne p.27

ii. Une aide concrète sur le lieu de résidence p.28

iii. Une meilleure représentation politique et institutionnelle   p.28

iv. Une réflexion sur les concepts de citoyenneté et de nationalité

CONCLUSION p.31

ANNEXE: LE NOMBRE D’EUROPEENS RESIDANT A L’ETRANGER P.32

INTRODUCTION

1.   Bien que de très nombreuses études aient été réalisées depuis le début des années 1970 sur la participation des étrangers à la vie culturelle et politique du pays d’accueil -notamment depuis l’octroi d’un droit de vote aux élections locales en 1976 aux étrangers résidant en Suède- les liens culturels, sociaux et politiques entre les Européens expatriés et leur pays d’origine n’ont eux guère suscité l’intérêt des chercheurs et des universitaires. Même dans la pléthore d’études consécutives à l’institution à l’Article 8 du Traité dit de Maastricht d’une « citoyenneté européenne » attribuant des droits politiques aux ressortissants de l’Union européenne vivant dans un autre Etat membre de l’Union – et une protection diplomatique et consulaire dans un pays tiers-, rien de spécifique, hormis les travaux de la Commission des Migrations du Conseil de l’Europe, n’a été consacré à ces expatriés.

2.   Or plusieurs dizaines de millions d’Européens vivent hors de leur pays d’origine, et les migrations intra-européennes et mariages bi-nationaux ne cessent de croître, notamment depuis l’introduction d’un cadre législatif relatif à la libre-circulation dans l’Union Européenne, l’effondrement du système communiste à l’Est et l’ouverture concomitante des frontières. Elles contribuent également à remettre en question à la fois les conceptions traditionnelles des Etats comme entités de population délimitées géographiquement et les notions de citoyennetés formelles. En instituant un « village global », les nouvelles technologies de l’information ont largement dédramatisé l’expatriation. Le développement des transports a en outre facilité les échanges et les retours des expatriés dans le pays, que ce soit de manière définitive ou provisoire.

3.   Il devenait donc important de se pencher sur les liens entre expatriés et pays d’origine, afin à la fois d’en examiner la nature et les enjeux et de tenter de promouvoir au sein des Etats européens l’instauration ou le développement de mesures destinées à les renforcer, notamment par l’instauration et l’harmonisation de modes de représentation spécifiques.

4.   Il est en effet de l’intérêt des Etats que leurs ressortissants continuent à exercer leur nationalité de manière active, au lieu qu’elle ne devienne une nationalité passive, essentiellement affective. Ces ressortissants peuvent en effet jouer un important rôle de relais dans le pays d’accueil, pour une amélioration des performances commerciales, un encouragement au tourisme, une meilleure diffusion de la culture et éventuellement de la langue ou tout simplement pour une meilleure compréhension réciproque. Un interface qui a donc  des conséquences socio-économiques certaines sur le pays d’origine.

5.   Il était donc opportun d’organiser au sein du Conseil de l’Europe une concertation entre les gouvernements des Etats membres et leurs délégations parlementaires sur les moyens d’améliorer les liens culturels, civiques et politiques avec leurs expatriés, d’harmoniser leurs politiques et pratiques en matière de circulation des personnes, de visas et de formalités aux frontières, et  de promouvoir la réintégration économique et sociale des personnes retournant volontairement dans leur pays d’origine. Cela impliquerait notamment une étude comparée des différents systèmes de représentation, un rassemblement d’informations sur les accords bilatéraux et autres instruments en matière de migrations temporaires et l’élaboration de cadres juridiques de protection de ces « euro-migrants ».

6.   Le Conseil de l’Europe, dont les objectifs principaux incluent la défense des droits de l’homme et de la démocratie pluraliste ainsi que la promotion d’une certaine identité culturelle européenne, ne pouvait qu’être le moteur d’une telle initiative. Car après avoir largement contribué à la promotion des droits sociaux et politiques des étrangers dans leur pays de résidence, en adoptant par exemple un grand nombre de résolutions et de recommandations destinés à favoriser leur intégration, à leur accorder l’égalité des chances, le droit à la différence culturelle et à une participation à la vie publique au niveau local, le Conseil de l’Europe s’est également penché sur les relations entre les migrants et leur pays d’origine.

7.   Nous noterons en particulier la Résolution (69) 7 relative au retour des travailleurs migrants dans leur pays d’origine, la Recommandation 951 (1982) visant à faciliter le vote dans le pays d’origine, la Recommandation, NoR (84) sur le maintien des liens culturels des migrants avec le pays d’origine, la Recommandation 1081 (1988) relative aux problèmes de nationalité dans les mariages mixtes, celle relative à l’éducation des enfants de migrants -1093 (1989)- et bien sûr la Convention européenne des Droits de l’Homme, la Charte Sociale européenne, la Convention relative au statut juridique du travailleur migrant ou la Convention européenne de sécurité sociale et la convention-cadre pour la protection des minorités nationales, signée à Strasbourg le 1er février 1995.

8.   A la suite du rapport BÖhm, ancien président de la Commission des Migrations, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, dans sa Résolution 1035 adoptée par la Commission Permanente le 18 mai 1994, invitait les gouvernements des Etats membres à prendre un certain nombre de mesures destinées notamment à mieux appréhender le fait migratoire par un recensement de leurs ressortissants à l’étranger et à améliorer leurs relations avec leurs communautés résidant à l’étranger.

9.      L’Assemblée y chargeait en outre sa commission des migrations, des réfugiés et de la démographie:

i. de poursuivre l’examen de la situation actuelle des Européens vivant à l’étranger et de demander aux délégations nationales d’apporter leur soutien à cette activité

ii. d’envisager la préparation d’un colloque sur la question des relations entre les Etats membres et leur ressortissants vivant à l’étranger.

I. LE FAIT MIGRATOIRE EUROPÉEN

10.      Toute étude phénomènologique et typologique du fait migratoire européen se heurte à de nombreuses difficultés dont la première est l’absence de données quantitatives fiables sur la distribution spatiale et temporelle de ces migrations européennes. Il n’existe aucune banque de données au niveau de l’Union européenne concernant les migrations de ses ressortissants hors U.E. Et même l’Italie qui a adopté en 1991 une loi sur le recensement de ses ressortissants à l’étranger ne possède toujours pas aujourd’hui de statistiques fiables.

Les estimations se font essentiellement sur la base de recoupements entre d’éventuels recensements dans les pays d’accueil et les chiffres des nationaux inscrits auprès des consulats. Or les recensements dans le pays d’accueil sont souvent faussés, soit parce que les double-nationaux ne déclarent pas leur nationalité d’origine, soit parce que ces recensements sont faits sur la base d’échantillons géographiques ou sur celle du lieu de naissance, sans tenir compte de la nationalité. Ainsi un Ukrainien né à Varsovie serait considéré par les statistiques britanniques comme Polonais et un Belge né au Maroc comme marocain. Et si certains Etats comme l’Allemagne ou la Norvège établissent une compilation des départs annuels, ils n’ont pas de statistiques en ce qui concerne le lieu de destination.

11.      Quant à l’inscription dans les consulats, elle est généralement facultative (certains Etats comme les Pays-Bas l’ont même entièrement supprimée) et la grande majorité des européens expatriés s’en dispensent, particulièrement dans les pays considérés comme politiquement stables. Ainsi seuls 15,29% des Suisses seraient-ils immatriculés; et alors qu’on estime le nombre de Hongrois en France à 25 000, seulement 1536 ont été répertoriés comme étant de nationalité hongroise, et ceci malgré  une récente législation hongroise obligeant à se présenter dans les Consulat en cas de séjour dépassant 3 mois.

12.  De surcroît les migrations clandestines restent importantes et de nombreuses personnes en situation irrégulière dans le pays d’accueil (et en  particulier aux Etats-Unis) échappent à toute tentative de recensement.

13. Le processus migratoire européen est également difficile à cerner dans la mesure même où, plus souvent spontané que régi par quelque politique migratoire structurée, il recouvre une grande diversité de situations et reflète les mutations de nos sociétés, leurs difficultés ou leurs spécificités. Il s’est notamment considérablement féminisé ces dernières années, notamment du fait des mariages binationaux et des politiques de regroupement familial. La distribution spatiale a beaucoup évolué, les grands pays traditionnels d’émigration (Italie, Espagne, Portugal) étant devenus à leur tour terres d’immigration.

14. L’on peut diviser les flux migratoires entre une migration temporaire, souvent de cadres hautement qualifiés du secteur tertiaire, et une migration définitive – expatriation matrimoniale ou de retraités. Mais la frontière entre ces deux concepts est  floue, subjective et évolutive, beaucoup de migrations qui se voulaient provisoires ayant pris au fil du temps et des circonstances un caractère définitif.

L’on peut également noter un net ralentissement des flux d’émigration de travailleurs peu qualifiés en provenance des pays traditionnels d’émigration. Le nombre des expatriés espagnols inscrits dans des consulats, qui était de près de 2 millions en 1990 est tombé à 1 167 000 ce qui peut partiellement aussi s’expliquer par de nombreuses naturalisations dans certains pays d’accueil;  l’émigration nette irlandaise, de 137 000 personnes de 1980 à 85  s’est- elle aussi considérablement ralentie, avec un peu moinds de 40 000 personnes ces cinq dernières années.

Parallèlement l’on assiste à un accroissement net des émigrations des cadres, ingénieurs ou retraités. L’on estime ainsi que près de la moitié des 250 000 personnes qui quittent le Royaume-Uni chaque année sont des retraités à la recherche de climats plus cléments.

15.  L’on distingue généralement, lorsque l’on parle d’Européens habitant à l’étranger, les « expatriés« , généralement envoyés par une société ou une administration à l’étranger pour une période ne dépassant pas quelques années et les « résidents » ou « locaux » , installés pour longtemps dans le pays, y étant parfois nés ou en ayant épousé un ressortissant, et travaillant dans le cadre de contrats de droit local, certaines familles vivant dans un pays étranger depuis parfois deux trois ou même quatre générations tout en ayant gardé leurs attaches affectives familiales et matérielles dans leur pays d’origine.

16.     Quant à l’expression « Européen résidant à l’étranger« , elle  recouvre des situations très différentes les unes des autres, depuis le travailleur migrant à la recherche d’un emploi de survie jusqu’au cadre de haut niveau envoyé à l’étranger par une grande entreprise, en passant par le fonctionnaire international, l’étudiant, l’ancien réfugié politique, l’expatriée matrimoniale ou le « néo-rural » hollandais dans la campagne italienne. On peut cependant le définir grossièrement comme une personne qui a son foyer, son lieu de séjour principal son activité professionnelle et le centre de ses intérêts hors de son pays d’origine mais qui en a gardé la nationalité.

17.  Cette notion de possession de la nationalité d’origine comme préalable indispensable à tout intérêt de la part du pays d’origine est elle aussi sujette à des interprétations variables selon les Etats. Ainsi l’Allemagne considère comme étant de son devoir de soutenir ou éventuellement de réintégrer sur son territoire les « Aussiedler », ces personnes émigrées depuis parfois plusieurs générations, d’origine ethnique allemande mais n’en possédant ni la citoyenneté ni même parfois la langue. De même les Italiens permettent à des personnes d’origine italienne – mais d’une autre nationalité- d’être cooptées au  Conseil Général des Italiens à l’étranger.

18.  Pour les besoins de cette étude, et faute d’un terme plus approprié nous  utiliserons ici par simplification le terme d' »expatriés » pour désigner indifféremment toutes ces catégories  d’Européens vivant hors de leurs frontières nationales.

Mais il conviendrait peut-être de réfléchir à une meilleure formulation. Le terme « expatrié » pouvant être associé dans certaines langues et dans  l’inconscient collectif aux notions d’exil ou d’exclusion.  Celui d' »émigré » peut avoir des connotations négatives (ce qui a conduit les Italiens à supprimer son usage et à remplacer les COEMIT -Comités de l’Emigration italienne- instaurés en 1985, par, cinq ans plus tard les COMITES ou Comités d’Italiens à l’étranger); celui de migrants ou d' »euro-migrants »est réducteur, car impliquant généralement une catégorie socio-économique donnée dans un espace géographique donné (le terme de « migrateurs » pouvant qualifier plus utilement une migration souvent temporaire et non limitée à l’Europe);  Et en créant le concept de citoyenneté européenne, le Traité de Maastricht a rendu ambigü le terme « étranger »  en ce qui concerne les communautaires établis dans un autre Etat de l’Union.

19.  Le phénomène d’expatriation européenne n’est pas récent et est consécutif à l’explosion démographique qui démarre vers 1750, la population européenne étant restée jusqu’alors relativement stable. 55 millions d’Européens s’expatrieront ainsi entre 1820 et 1980, les premiers pays d’émigration étant l’Italie, avec 21 millions de personnes, le Royaume-Uni (10 millions), l’Irlande (8 millions), l’Allemagne (7 millions) puis la Pologne et la Russie. 34 millions s’installeront aux Etats-Unis, 10 millions au Canada, 5,5 millions au Brésil, 4,5 millions en Australie et 1,5 million en Argentine.  On estime aujourd’hui à plus de 200 millions les membres des diasporas européennes directement issues de ces migrations.

20.  Il serait vain de vouloir nier le rôle considérable qu’ont joué ces diasporas européennes au cours de l’histoire, tout particulièrement aux Etats-Unis lors des deux grands conflits mondiaux (il est par exemple reconnu que c’est l’engagement des Français de l’étranger lors de la 2ème guerre mondiale qui a amené la création du Conseil supérieur des Français de l’étranger), mais aussi dans l’effondrement du système communiste, avec pour la Pologne l’action du « gouvernement en exil » mais aussi pour toute la région  l’engagement du plus célèbre de ses expatriés, le pape Jean-Paul II.

21.  Tout au long de l’histoire, ces migrants européens ont créé des réseaux d’information, d’accueil et de soutien pour leurs compatriotes. Déjà à Rome au haut moyen âge, ce qu’on appelait « la nation française », des laïcs élus par leurs pairs, avait pour but de secourir les pèlerins en difficulté. Une notion de solidarité qui est à l’origine des nombreuses sociétés de bienfaisance, puis des associations régionales ou professionnelles créées un peu partout dans le monde, et notamment aux USA dès le 19ème siècle, et dont la plupart ont survécu jusqu’à aujourd’hui.

II. LES ETATS FACE A L’EXPATRIATION

II.1. UNE GRANDE HETEROGENEITE DES ATTITUDES NATIONALES

22. Pendant longtemps, les Etats ne semblèrent guère s’intéresser à leurs expatriés; L’accueil, l’information et le soutien des nouveaux arrivants étaient la responsabilité soit des émigrés eux-même, par le biais d’associations, soit des Eglises. Celles-ci jouent encore aujourd’hui un rôle capital au sein des communautés expatriées. C’est le cas en particulier pour les Hongrois, les Chypriotes et les Polonais mais aussi pour les ressortissants de pays nordiques,-Suède, Norvège et Finlande- dont les Eglises sont au coeur même de la vie culturelle et sociale. A titre d’exemple, la mission catholique polonaise, établie en France depuis 162 ans, est, avec 80 paroisses et 100 prêtres, le point focal de la diaspora polonaise, publiant depuis 35 ans un hebdomadaire pour les Polonais de France et des pays limitrophes, « La voix catholique ».

Le Comité des Eglises auprès du Conseil de l’Europe, fondé en 1964 comme agence indépendante des églises anglicanes protestantes et orthodoxes européennes, continue cette tradition et a pour but de favoriser au sein des Eglises les débats sur les migrations européennes tout en servant de relais à leurs préoccupations.

23.  L’on dénote de grandes divergences de positions face au phénomène d’expatriation: certains Etats l’encouragent et la considèrent comme un élément essentiel de rayonnement culturel et économique du pays. C’est le cas d’Etats qui comme la France, pays d’immigration, ont un nombre d’expatriés relativement faible ou d’Etats qui comme la Croatie sont relativement sous-peuplés. C’est également le cas de la Suisse qui a créé une « Fondation pour l’étude de la présence suisse à l’étranger » et un Musée retraçant l’historique de cette expatriation. C’est enfin le cas d’Etats à forte émigration, comme l’Espagne ou la Grèce qui ont inscrit dans leur constitution l’obligation juridique de veiller aux droits de leurs ressortissants à l’étranger. Par contre d’autres Etats du Nord de l’Europe la considèrent parfois comme une forme de désertion fiscale et la traitent donc avec un certain détachement.

24.     Cette diversité d’approche se reflète logiquement sur les structures mises en place par les différents pays et un examen comparé de celles-ci permet de déceler une certaine coïncidence entre le positionnement géographique des Etats et leurs attitudes. L’on peut ainsi établir une typologie succincte de trois groupes d’Etats:

– les Etats que l’on pourrait appeler « maternants », parce qu’ils entourent leurs expatriés de sollicitude, et ont élaboré tout un cadre juridique d’encadrement de l’expatriation. Il s’agit essentiellement là des pays méditerranéens (Portugal, Espagne, Italie, France, Chypre, Saint-Marin, Grèce, et Turquie), et dans une moindre mesure la Suisse.

– les Etats « laissez-faire » du Nord de l’Europe (Danemark, Finlande, Suède, Norvège, Pays-Bas, Allemagne  et Royaume-Uni).

Protestants pour la plupart, ils sont des pays d’émigration ancienne -en particulier vers les USA au 19ème siècle- et n’accordent que peu de droits à leurs expatriés, sans beaucoup d’aide à la scolarisation et quasiment aucune aide sociale.

les Etats « mythifiants », nouvelles démocraties du Centre-Est pour qui les expatriés ont longtemps incarné les valeurs de liberté et de démocratieet suscitent des réactions émotives fortes. Ils font non seulement partie intégrante de la nation mais en sont un moteur essentiel et parfois même une justification. Ces Etats ont adopté sur ces questions une attitude résolument volontariste et ont font une priorité, même si les moyens budgétaires ne permettent pas toujours de satisfaire toutes les ambitions.

Certains Etats peuvent échapper à cette typologie du fait de mutations en cours: ainsi l’Irlande et l’Autriche, autrefois « laissez-faire » semblent se rapprocher peu à peu du groupe des Etats maternants.

25.  La perception de l’expatriation par le public varie également beaucoup d’un pays à l’autre mais reste assez souvent négative, notamment à l’Ouest: les expatriés sont parfois considérés avec condescendance, « ceux qui n’ont pu réussir dans leur pays d’origine », avec une certaine jalousie, « ces privilégiés menant une vie dorée », avec mépris « ils cherchent à payer moins d’impôts », ou encore avec méfiance « s’ils sont partis, c’est qu’ils avaient quelque chose à cacher ».

26. Dans certains pays l’expatriation a été aussi vue comme un injuste affaiblissement de la nation, le phénomène de « brain drain » ou « fuite des cerveaux » faisant partir des spécialistes dont l’éducation avait souvent coûté cher au contribuable. Il est alors parfois difficile de convaincre que ces expatriés resteront un atout considérable pour le pays d’origine.

27.  Par contre dans certains Etats dont l’émigration avait été largement politique,  celle-ci a été parfois exaltée parce qu’associée à une lutte pour les libertés individuelles et l’identité et la souveraineté nationales.  Certaines personnes expliquent ainsi l’arrivée au 2ème tour des élections présidentielles polonaises de 1990 (devant le premier ministre Masowiecki) d’un candidat ayant vécu 40 ans au Pérou et au Canada. L’exemple n’était d’ailleurs pas nouveau, puisque Paderewski était devenu Premier Ministre 6 mois seulement après son arrivée en Pologne en 1918. On dit cependant que le président Lech Walesa en aurait été très alarmé et se serait attaché ensuite à bloquer toute nomination de ministres polonais venant de l’étranger.

II.2. LES AVANTAGES RECIPROQUES D’UN SOUTIEN A L’EXPATRIATION

28.  Même dans les Etats ayant été longtemps indifférents, voire relativement hostiles à l’expatriation, on note une prise de conscience grandissante du potentiel économique et culturel de ces expatriés. Ainsi le Président irlandais Mary Robinson avait-elle voulu qu’une lumière brille en permanence à une fenêtre de sa résidence pour symboliser l’attachement de la République à sa « Cinquième Province », composée de 70 millions d’Irlandais, « un immense réservoir de bonne volonté et un de nos principaux avantages en tant que nation » selon le Livre Blanc irlandais sur la politique étrangère, qui détaille par ailleurs les moyens d’utiliser ce potentiel pour faire avancer les objectifs nationaux politiques et économiques, notamment par une extension de son réseau diplomatique et consulaire.

29.  L’impact économique et financier des diasporas sur le pays d’origine est loin d’être négligeable, non seulement en termes d’appui aux exportations mais aussi en termes de ressources financières:  En Italie au début du siècle les transferts d’épargne des expatriés représentaient près du quart de la balance des paiements et si ces mouvements de fonds ont tendance a diminuer, ils restent importants, avec par exemple 428 026 millions de lires en 1996 en provenance de la seule Europe. Au Portugal, l’épargne forme 13% du Produit National Brut, et l’on estime que l’épargne des Portugais à l’étranger, encouragée par des taux d’intérêt attractifs (inférieurs à ceux offerts aux résidents) dans les banques d’Etat, en constitue la majeure partie. Et lorsque Tadeusz Mazowiecki fit appel en février 1990 aux Polonais de l’étranger pour reconstruire le pays, plus de £500 000 furent collectées en quelques mois auprès des Polonais de Londres.

30.  L’effondrement du système communiste, en créant un espace public nouveau, mit en valeur le rôle éminent des diasporas dans les processus de démocratisation et de reconstruction. L’ouverture des frontières en Europe et la mondialisation des échanges renforcèrent la perception des ressortissants à l’étranger comme un formidable outil d’influence économique, culturelle ou politique au sein du pays hôte. A titre d’exemple, le « lobbying » des Polonais du Royaume-Uni auprès des trois grands partis avant l’élection législative de 1992  contribua largement à l’abolition des visas d’entrée entre les deux pays, et s’emploie aujourd’hui à faire mieux accepter l’adhésion de la Pologne à l’OTAN.

31.  Bien que des Etats soutenant leurs ressortissants à l’étranger aient  parfois pu se voir soupçonner par les Etats voisins de tentatives d’ingérence, ces suspicions ont fort heureusement disparu et l’on considère maintenant qu’un tel soutien peut être un élément de solution des problèmes de minorités nationales et un frein à l’explosion des nationalismes ethniques. Ainsi après que Joseph Antall, Premier Ministre hongrois issu des premières élections libres, ait dit dès son discours d’investiture en 1990 qu’il voulait être le Premier Ministre des 15 millions de Hongrois, (donc également ceux vivant dans les pays voisins et porteurs de Magyarité),  le gouvernement précisait dans le traité fondamental signé trois ans plus tard avec l’Ukraine que « les deux Etats n’élèvent pas de prétentions territoriales l’un à l’égard de l’autre et ils n’en auront pas non plus à l’avenir ».

32.  Parallèlement les expatriés eux-même veulent vivre leur différence, en réaction contre les forces d’intégration et d’homogénéisation culturelles et sociales auxquelles ils se trouvent souvent confrontés dans le pays d’accueil. Ils considèrent que leur double allégeance est un enrichissement, tant pour eux que pour le pays hôte. Des études ont par ailleurs montré un taux de divorce et de suicides plus élevé que la moyenne parmi les femmes ayant délaissé leur identité et culture d’origine pour tenter de mieux réussir leur intégration dans leur Etat de résidence (celui de naissance de l’époux).

Un regain d’intérêt pour l’Etat d’origine se développe également au sein même des 2ème et 3ème générations, en particulier dans les Etats à culture dominante forte, comme par exemple les Etats-Unis. Un renforcement des liens avec l’Etat d’origine apparaît alors comme un moyen de positiver cette dualité d’appartenance et de résoudre des conflits identitaires fréquents dans la deuxième génération de migrants. Bien canalisé, cet intérêt  peut avoir notamment un impact considérable sur les chiffres du tourisme du pays d’origine, comme peuvent en attester tous les pays de forte et ancienne émigration.

33.  Un soutien aux ressortissants sur place est aussi vu comme un moyen d’éviter des rapatriements importants qui pourraient menacer l’équilibre économique du pays. C’est par exemple le cas pour la Pologne, mais aussi de manière plus récente pour l’Ukraine qui a du accueillir plus de 250 000 Tatars de Crimée ou pour l’Allemagne qui cherche à soutenir ses « Aussiedler » dans leur pays de résidence plutôt que d’avoir à continuer à les accueillir en masse. Les différentiels économiques entre pays d’origine et pays de résidence sont en effet une source de tentation pour les bi-nationaux de la deuxième et troisième génération vivant dans des pays pauvres, et qui souvent idéalisent ce pays qu’ils ne connaissent pas. Il est donc important de pouvoir leur offrir dans leur pays de résidence une formation professionnelle ou une aide à l’emploi qui leur permettra de mieux s’y insérer et d’éviter un retour qui pourrait décevoir.
III. LES MESURES PRISES PAR LES ETATS

III.1.LES MESURES STRUCTURELLES

34.  Les initiatives organisationnelles et administratives varient considérablement selon les Etats, certains, comme l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Suisse ou la France ayant une politique véritablement volontariste, d’autres -c’est en particulier le cas d’Etats régis par le jus soli – n’ayant pris aucune mesure particulière en leur faveur. Le Royaume-Uni affirme même que ses services consulaires doivent répondre aux besoins non des communautés expatriées mais des Britanniques de passage et ajoute « se refuser à assumer des problèmes que les ressortissants peuvent résoudre eux-mêmes soit par le biais des organisations commerciales ou même des organisations non-gouvernementales ». Ainsi le Royaume-Uni emploie t’il 771 agents consulaires dans le monde dont 407 recrutés locaux et 231 consuls honoraires. La France elle emploie 2300 personnes dont 800 recrutés locaux et 494 consuls honoraires.

Parmi les Etats de l’ancien bloc soviétique, certains ont pris des mesures extrêmement rapides en faveur de leurs ressortissants. C’est le cas par exemple de la Pologne, avec l’établissement de textes bilatéraux prévoyant spécifiquement une protection de ses ressortissants.

35.  C’est avec la fin du processus de décolonisation et le développement des migrations trans-européennes dans les années 70 que les Etats d’émigration comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal commencèrent à prendre des mesures de soutien pour leurs expatriés, en créant notamment des structures gouvernementales ou « offices d’émigration ». Ainsi le Portugal créa-t’il dès 1970 un « Secretariado Nacional de Emigraçào », indiquant dans un Décret-Loi No 402/70 que « ce gouvernement reconnaît le besoin urgent d’intensifier des mesures destinées non seulement a créer des conditions d’installation dans le pays… mais aussi à discipliner et orienter les courants migratoires..et à mettre en place tout un réseau de soutien aux émigrants où qu’ils soient »

36.  Dès la démocratie réétablie en Espagne, on s’empressa d’inscrire dans la nouvelle constitution (art.42), l’obligation de solidarité avec les ressortissants espagnols à l’étranger. La Suisse et la Grèce en firent autant (art.45 bis et 108 respectivement) et la Pologne vient d’inscrire ce devoir de solidarité dans le Préambule de sa nouvelle constitution, soumise à référendum le 25 mai 1997.

37. La plupart des Etats ont mis en place un département ayant une responsabilité spécifique pour leurs ressortissants à l’étranger, généralement au sein du Ministère des Affaires Etrangères (c’est le cas de l’Autriche, Chypre, France, Grèce et de la plupart des Etats Baltes et du Centre-Est) parfois au sein du Ministère de l’Intérieur (Allemagne), ou encore au sein du Ministère du travail (Espagne, Portugal) avec des activités éducatives et culturelles dépendant du Ministère de l’Education.

38. Les associations locales ou régionales, souvent très nombreuses (20 000 pour les Portugais) sont souvent encouragées à se structurer au niveau national et mondial dans des fédérations ou confédérations, et jouissent souvent alors d’un statut d’interlocuteur et de porte-parole des communautés expatriées lorsqu’il n’existe pas d’organisme représentatif élu. C’est le cas par exemple du « Weltbund der Österreicher im Ausland » en Autriche, de la « Fédération mondiale des Chypriotes grecs », de l' »Association des Belges francophones », du « Congrès mondial des Polonais » ou du « Conseil de Lettonie ». L’Espagne avait dès 1971 promulgué une loi (33/ 21 Juillet 1971) afin d’encourager l’établissement d’associations et de centres pour maintenir l’identité espagnole à l’étranger et  les liens avec la mère patrie.

39.  De plus en plus les structures gouvernementales essaient de décentraliser leur action en déléguant nombre de leurs activités aux consulats et en soutenant financièrement l’action d’associations locales. C’est le cas par exemple pour la France avec la création de comités consulaires pour l’emploi qui placent environ 2000 personnes par an  et pour l’action sociale qui distribuent des allocations à plus de 6000 personnes et à des associations de bienfaisance pour un coût global supérieur à 100 millions de Francs. C’est le cas bien sûr dans les pays dits « à risque », où la plupart des consulats ont élaboré des mesures de soutien et de sécurité, comme par exemple des réseaux de voisinage ou des plans d’évacuation en cas de danger important.

40.  Des structures ont été mises en place par de nombreux Etats pour le rapatriement et la réintégration de leurs ressortissants, que ce retour soit la conséquence d’une détérioration politique dans le pays hôte, de chômage ou – et c’est particulièrement le cas dans les Etats d’Europe du Sud-, du fait d’une retraite. Les Européens du sud en particulier offrent un certain nombre de mesures de soutien (par exemple une contribution au financement du voyage, des allocations de logement ou des prêts à taux réduit). Et les Croates viennent d’adopter une loi qui exonérera d’impôt les retraites des Croates réintégrant le pays.

41.  Des mesures sont également prises dans certains pays d’Europe du Sud pour attirer les investissements de leurs ressortissants. Ainsi le Portugal a-t’il mis en place des possibilités d’épargne avec un taux d’intérêt supérieur à celui en vigueur pour les ressortissants vivant dans le pays, et des prêts à taux plus faible pour l’acquisition d’un logement.

42.  Par ailleurs plusieurs Etats ont établi un programme de vacances sponsorisées pour leurs ressortissants. C’est le cas en particulier des Etats européens du sud dont l’activité touristique se limite généralement aux quelques mois d’été. Ainsi l’Espagne subventionne chaque année les vacances quelques centaines d’enfants et de 9000 de ses personnes âgées qui viennent occuper les hôtels en période creuse. Quant à la Grèce, elle a élaboré un programme pilote « le Village Arcadien » qui consiste en centres de vacances dans des sites superbes accueillant chacun 300 à 350 familles d’expatriés grecs.

III.2. LES INITIATIVES EN MATIERE CULTURELLE ET LINGUISTIQUE

43.  Il est de l’intérêt des Etats d’affirmer leur culture, leur langue et leurs traditions à l’étranger et les expatriés peuvent en être d’excellents véhicules et médiateurs, à condition toutefois qu’ils se sentent pleinement informés et soutenus par leur Etat d’origine.

44.  La plupart des Etats ont des instituts culturels qui servent de point de ralliement aux expatries et assurent une diffusion de la langue et culture. L’Espagne par exemple utilise le réseau de ses Casas de España pour le développement d’une politique culturelle dont le but est de préserver l’identité nationale et le Conseil des Communautés Portugaises demandait dès 1981 la création de centres de promotion de la langue et culture portugaise. Bien que ce ne soit pas son rôle essentiel la Fondation pour la Culture Grecque enseigne le grec aux expatriés de la deuxième et troisième génération.

45.     Outre leur fonction essentielle d’aide à l’intégration dans le pays d’accueil, les associations jouent un rôle capital dans le soutien culturel et linguistique. Suivant leur taille, elles organisent des vacances pour les enfants, des expositions ou des opérations plus légères comme par exemple des soirées récréatives, des bibliothèques tournantes, des ventes de livres, des cours ou activités pour enfants. Elles prolongent aussi souvent la politique culturelle de l’Etat et peuvent être d’une grande efficacité: Lorsque la Suède menaça il y a quelques années de réduire les subventions accordées à l’enseignement du finlandais sur son territoire, les associations finlandaises firent rapidement signer une pétition à plus de 10 000 compatriotes. Le Congrès mondial croate a fixé lui au nombre de ses priorités d’une part le recensement, la publication et la donation de livres concernant la Croatie au plus grand nombre possible de bibliothèques dans le monde et d’autre part l’enseignement du croate aux enfants de familles émigrées depuis parfois 5 ou même 6 générations en Amérique du Sud.

46.  Un système d’enseignement complet dans la langue du pays est très onéreux et seuls les pays de taille conséquente  ont pu développer un système d’enseignement cohérent à l’étranger avec la création de véritables écoles ou lycées. A titre d’exemple l’Allemagne gère 165 écoles dont la plus ancienne avait été créée à Talinn en 1250. La France consent elle aussi à un effort financier très important pour la création et le maintien d’un réseau d’enseignement dense avec 420 écoles accréditées qui scolarisent plus de 100 000 élèves. Elle offre par ailleurs un enseignement par correspondance complet grâce au CNED (Centre National d’enseignement à distance); des bourses de scolarité peuvent être obtenues par les familles ayant des revenus limités (environ 15 000 par an pour un montant de 185 millions de Francs).

47.  Plusieurs autres Etats préfèrent concentrer leurs efforts sur l’enseignement de la langue, en supplément du cursus normal, par des enseignants spécialisés et formés dans le pays d’origine. C’est le cas de l’Italie, du Portugal, de l’Espagne, de la Slovénie, de Chypre avec 50 enseignants pour le seul Royaume-Uni ou de la Turquie dont les 197 professeurs dispensent leur enseignement à plus de 20 000 élèves disséminés dans toute la France. Les Polonais ont réussi à faire admettre des épreuves de langue Polonaise au niveau du Baccalauréat (A levels) et en organisent eux-même les examens.

48.  L’information des expatriés se fait essentiellement par le biais des associations ou des fédérations d’associations qui publient à leur intention soit des magazines d’information (Autriche, France, République tchèque) soit des notes d’informations pratiques sur différents sujets juridiques, sociaux ou culturels (comme par exemple l’association des Belges francophones à l’étranger).

Il faut noter le remarquable effort des autorités suisses qui envoient six fois par ans un magazine à tous leurs ressortissants « Swiss Review » avec de nombreuses informations sur la vie politique ou culturelle de Suisse. Quatre éditions par an permettent d’y intercaler des nouvelles « locales » intéressant les Suisses du pays de résidence.

49.  Peu à peu les associations d’expatriés, tout comme les gouvernements, investissent Internet et par exemple les Albanais proposent des pages en anglais particulièrement documentées, avec en particulier toutes les dépêches d’agences de presse concernant leur pays et tout un faisceau d’informations pratiques (visas, recherche d’emploi etc.).

50.  Plusieurs Etats offrent des chaînes de télévision spécifiques sur le satellite Eutelsat; c’est le cas du Portugal, de la Croatie, de la Turquie de la Hongrie, avec « Donau Television »  ou de la Pologne, avec « TV Polonia », qui émet 19 heures sur 24,  et est financée par le Ministère de l’éducation polonais.  La Suède s’apprête à suivre cet exemple de même que la Grèce avec « Hellas-Sat ». Certaines radios (Radio-Suède, Radio France-International, Radio-Suisse Internationale) proposent par ailleurs des émissions spécialement destinées aux expatriés.
III.3.  LES DROITS POLITIQUES

i. le droit de vote

51.  La participation politique est marquée par la forte dichotomie entre d’une part l’extrême réticence de certains Etats face au droit de vote et d’autre part le vif désir des autres, notamment au Centre-Est, de mieux organiser et canaliser une participation démocratique de leurs ressortissants aux diverses élections.

52.  La réticence de certains Etats s’explique par leur fidélité aux principes du philosophe John Locke liant dès le 17ème siècle droit de vote et devoir d’impôt, ce qui les pousserait à réserver le droit de vote aux étrangers résidant sur leur sol. Les Etats membres du Conseil de Cooperation Nordique, Suède, Finlande, Norvège et Danemark ont d’ailleurs été les premiers à leur accorder ce droit de vote dans les années 70, d’abord parfois sur une base de réciprocité puis sans distinction de nationalité.

53.     Certains autres petits pays s’inquiètent du nombre paradoxalement élevé de leurs expatriés et expriment une peur de donner un trop grand poids politique à des personnes ayant une relative méconnaissance de la situation politique réelle dans le pays et pouvant éventuellement influencer les résultats. C’est le cas pour l’Irlande et ses 70 millions de personnes d’origine irlandaise ou pour la Hongrie et ses 4 millions et demi de ressortissants à l’étranger. Dans tous ces pays les expatriés pourront cependant voter, mais  à condition de se rendre sur place, comme en Grèce, en Italie, à Chypre et Malte, dans les Républiques tchèques ou slovaques ou en Turquie, ce qui limite bien évidemment la participation.

54. Certains de ces Etats subventionnent le retour au pays pour raisons électorales, en organisant par exemple des réductions importantes sur les lignes de chemin de fer ou bateaux italiens. Mais le coût d’une participation politique est parfois remis en question: ainsi le Gouvernement de St Marin qui remboursait à ses ressortissants à l’étranger 75% de leurs frais de voyage voit cette mesure contestée par les contribuables. Il serait donc question d’introduire le vote par correspondance pour les élections de 98.

55.  Le vote a généralement lieu soit en se présentant personnellement à l’ambassade (Autriche, Bulgarie, Finlande, Espagne, France, Norvège, Pologne, Roumanie, Suède ) soit par correspondance (Allemagne, Autriche, Belgique, à condition d’être inscrit au registre d’une commune belge, Espagne, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, Pologne).  On note parfois une certaine réticence face au vote par correspondance, censé présenter des risques de fraude. Aussi beaucoup d’Etats l’utilisant s’entourent-ils de la plus grande prudence: Un autrichien utilisant ce vote doit, soit se présenter physiquement au consulat ou à l’ambassade et y remplir son bulletin de vote par correspondance, soit le remplir devant deux témoins autrichiens -ou  d’une autre nationalité mais à condition qu’ils soient assermentés (assimilés à des notaires)-

56.  De plus en plus de pays offrent à leurs expatriés la possibilité de vote aux élections nationales, présidentielles ou législatives, (mais pas aux élections locales, les seules exceptions étant la Suisse pour certains cantons, l’Espagne  et la France, à condition de voter, comme pour les législatives du reste, par procuration). Mais il est à noter que ce vote est souvent l’aboutissement d’un très long processus et l’exemple de la Suisse est significatif: alors que la possibilité du vote des Suisses à l’étranger y a été très souvent discutée depuis la constitution fédérale de 1848, c’est seulement en 1966 qu’a été inséré un nouvel artcile 45bis donnant à la Confédération la compétence d’édicter une loi d’exécution sur les droits politiques des Suisses à l’étranger, et le 1er juillet 1992 que fut octroyé le vote par correspondance au plan fédéral, sans effacer toutefois de sérieuses réticences quant au droit de vote des double nationaux. C’est également en 1992 que les ressortissants autrichiens à l’étranger purent voter pour la première fois, lors de l’élection présidentielle. Les Britanniques votèrent eux pour la première fois aux élections législatives de 1987, à condition qu’ils aient été absents du pays depuis moins de 5 ans, condition étendue à 20 ans lors des législatives suivantes(1992). Quant aux Polonais, qui réduisaient jusqu’à présent l’usage du vote au premier tour des élections (en invoquant des difficultés administratives d’organisation d’un 2ème vote en quinze jours à l’étranger), ils envisagent non seulement de l’étendre au deuxième tour mais aussi de créer des postes de députés représentant spécifiquement les Polonais de l’étranger. La Turquie, dont le Parlement avait déjà débattu de la question en 1965, travaille actuellement à un projet de loi qui permettrait la mise en place d’une représentation politique de ses expatriés.

57.  Il semblerait d’ailleurs que dans les pays accordant le droit de vote à leurs expatriés, la participation de ces derniers soit trop faible pour avoir une grande incidence sur les résultats. Leur vote refléterait assez bien les résultats globaux, avec cependant une légère orientation à droite mais un manque total d’adhésion aux partis d’extrême-droite ou d’extrême gauche. La seule exception notable vient des élections législatives de 1992 en Grande-Bretagne où le vote des expatriés, bien qu’ils aient été très peu nombreux à s’inscrire sur les registres électoraux (18,552 votants, soit 0,017% des expatriés britanniques), aurait gardé deux sièges marginaux aux Conservateurs.

58. C’est dans les pays faisant un réel effort d’information, avec notamment des insertions publicitaires régulières dans la presse locale que le taux de participation est le meilleur; en Italie, avec 47% pour les élections du Conseil Général des Italiens à l’étranger de 1991, en Lettonie -sur les 2000 inscrits au Royaume-Uni, 1500 ont voté pour leurs représentants au Saiema -mais il est vrai que des représentants de l’ambassade étaient allés collecter leurs suffrages en 14 points du territoire.

ii. une représentation parlementaire spécifique

59.  Rares sont les pays qui offrent une représentation parlementaire spécifique à leurs expatriés et c’est une toute jeune démocratie qui montre l’exemple.  La Croatie est en effet l’Etat qui, malgré un Parlement de taille relativement réduite (124 membres), offre depuis 1995 la représentation la plus généreuse, tant à ses expatriés qu’aux étrangers vivant sur son territoire.  Non seulement il offre  aux communautés ou minorités nationales représentant plus de 8% de la population de la Croatie, la possibilité d’élire des députés proportionnellement à leur nombre, mais il offre aussi un minimum de 5 postes de députés aux communautés n’atteignant pas ces 8%, en précisant que ces députés doivent chacun appartenir aux communautés hongroises, italiennes tchèques et slovaques de même qu’aux minorités ruthénienne, ukrainienne, allemande et autrichienne, en précisant que le total de 124 députés pourra  être légèrement augmenté pour accueillir les représentants de ces communautés.

Quant aux expatriés croates, douze sièges leur sont réservés au Parlement auquel ils sont élus pour quatre ans à la proportionnelle sur des listes spécifiques.

60.  Le Portugal n’admet pas le vote de ses ressortissants aux élections présidentielles mais permet l’élection, par correspondance, de quatre députés dits « de  l’émigration » (deux pour l’Europe, deux pour le reste du monde). Ce droit de vote aux présidentielles reste une préoccupation constante des Portugais de l’étranger, et fut d’ailleurs la toute première demande – avec un accès facilité à la plurinationalité- de leurs représentants au Conseil des Communautés portugaises dès sa première réunion en 1980.

61.     Quant aux Français établis hors de France, s’ils n’ont pas de représentation à l’Assemblée Nationale, la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit en son article 24 que les Français établis hors de France sont représentés au Sénat. Douze sénateurs y sont élus pour 9 ans par les 150 membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger.

62. L’Italie vient à la fin avril 1997 d’accepter l’idée d’une représentation spécifique au Parlement des Italiens résidant à l’étranger. Les modalités précises de cette élection n’ont pas encore été déterminées mais on estime qu’ils devraient pouvoir obtenir entre 5 et 10 sièges.

63.  En Irlande, il a été également été récemment proposé un amendement constitutionnel pour l’élection de trois membres du Sénat (Seanad Eireann) par les émigrants irlandais, ces trois membres élus devant remplacer trois des 11 membres désignés par le Premier Ministre, sans augmenter le nombre total de 60. Mais cet amendement n’a pas encore été approuvé, étape nécessaire avant l’organisation d’un référendum à ce sujet.

III.5. LA REPRÉSENTATION INSTITUTIONNELLE

64.  Certains Etats européens ont mis en place des organes de représentation spécifiques de leurs expatriés, leur permettant de faire entendre leur voix en dehors des grandes consultations nationales et locales. Le plus ancien de ces organismes est le Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE) créé en 1948. Le CSFE compte aujourd’hui 150 membres élus au suffrage universel par les Européens inscrits sur les registres électoraux ouverts à cet effet dans les consulats, 20 personnalités désignées par le gouvernement et 12 sénateurs élus par les 150 délégués. Il est à noter que le CSFE doit notamment son origine au lobbying de l’Union des Français de l’étranger, association créée en 1927, qui avait su démontrer l’importance d’une participation à la vie politique française de ceux qui avaient contribué à la défaite du nazisme. Depuis 1982 les membres du CSFE sont élus au suffrage universel par tous les résidents français à l’étranger inscrits sur des listes de vote spécifiques  établies dans les consulats.

65. Un autre organisme particulièrement intéressant par son mode de fonctionnement est le Conseil Général des Italiens de l’Etranger. Créé le 5 janvier 1967 il présentait déjà une structure à deux étages, un CCIE, « Comité consultatif pour les Italiens émigrés » organe consultatif auprès du gouvernement et des « Comités d’assistance consulaire » délocalisés dans les différents pays à forte présence italienne, mais dont les membres étaient choisis par les autorités consulaires. Depuis 1986 ces comités sont créés auprès de chaque consulat ou agence consulaire dans les circonscriptions comptant un minimum de 3000 ressortissants et où ils sont élus au suffrage universel, à raison de 12 membres au maximum par communauté allant de 3000 à 100 000 personnes et de 24 membres au-delà et sont affectés auprès des consulats ou agences consulaires. La loi prévoit que ces élus puissent également coopter des « citoyens étrangers d’origine italienne » dont la candidature devrait être également soutenue par des associations. Dans les pays  où il n’existe  pas de comité élu, les associations italiennes de plus de cinq ans d’existence proposent des personnalités (dans une proportion deux fois supérieure au nombre de sièges à pourvoir) à l’Ambassade qui choisit alors les personnes qui formeront le Comité.

Ces comités élisent à leur tour les membres du Conseil Général des Italiens (CGIE) qui, placé sous la Présidence du Ministre des Affaires Etrangères ou d’un sous-Secrétaire d’Etat compétent en matière d’émigration,  comprend  94 membres, dont 65 sont élus par les comités locaux. 29 autres sont nommés par le Président du Conseil, et sont issus des organisations nationales travaillant dans le secteur de l’émigration (10), des partis politiques représentés au parlement (7) des syndicats (9), de la presse italienne nationale (1), de la presse italienne à l’étranger(1) et des associations de travailleurs frontaliers (1). Participent également aux travaux un certain nombre de responsables ministériels.

66.  D’autres conseils de représentation existent en Espagne et au Portugal, mais ils souffrent d’une faible représentativité, le taux d’abstention étant particulièrement élevé lors de leurs élections. La structure du conseil espagnol, créé en 1978 est double, avec les « Conseils de Résidents espagnols » auprès des consulats et le « Conseil Général de l’Emigration » de 60 membres, dont 24 élus par les Conseils de Résidents. Au Portugal, le Conseil des Communautés portugaises, créé en 1980 fut remplacé dix ans plus tard par  des Conseils de Pays (avec des membres élus par des collèges électoraux désignés par l’Ambassadeur dans le pays d’accueil), un Conseil Permanent des Communautés Portugaises (composé de deux représentants élus par chaque Conseil de pays), et  un « Congrès mondial »  des Communautés portugaises dont le premier devait se tenir en 1991 mais qui ne s’est en fait jamais encore réuni.

67.  Le « Conseil des Suisses à l’étranger » aussi appelé « Parlement de la cinquième Suisse » est composé d’environ 150 membres, élus pour 4 ans: 60 délégués environ élus (avec chacun un suppléant) par les différentes associations de l’étranger ainsi que 20 à 40 personnalités résidant en Suisse proposées par le Comité et nommées par le Conseil.

Il se réunit deux fois par an, au printemps et à la fin de l’été, dans le cadre du Congrès des Suisses de l’étranger. Entre les sessions, le Comité de l’OSE (« Organisation des Suisses de l’Etranger », créée en 1916 et regroupant sociétés et institutions helvétiques du monde entier) et le Secrétariat des Suisses de l’Etranger (état-major exécutif de l’OSE avec 15 collaborateurs) s’occupent des affaires courantes.

68.  Le plus récent des organes de représentation est le « Conseil de la Diaspora grecque », inauguré du 29 novembre au 8 décembre 1995 à Salonique, ville choisie parce que « traditionnellement associée à l’Héllénisme au sens le plus large et non à l’Etat grec dans ses limites géographiques étroites ».

IV. POUR UN RENFORCEMENT DES LIENS ENTRE LES EXPATRIES ET LEUR ETAT D’ORIGINE

IV.1. LES OBSTACLES RENCONTRES PAR LES EXPATRIES

i. Des discriminations sociales et fiscales

69.  La plupart des obstacles rencontrés par les expatriés sont liés à la disparité des législations et procédures administratives nationales dans le pays d’accueil. On constate par ailleurs un certain décalage entre le niveau de protection théorique -ou normative- des étrangers tels qu’ils résultent des instruments internationaux ou constitutions nationales,et leniveau de la réalité vécue dans le pays d’accueil.

70.  Ainsi les notions de « résidence fiscale » et les règles et modes d’imposition varient-elles d’un Etat à l’autre, pouvant entraîner des risques de double imposition . Il existe par ailleurs une discrimination fiscale certaine envers les Européens expatriés; ainsi jusqu’à une date récente les Français ayant gardé une résidence en France étaient passibles de l’impôt sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative réelle de cette habitation, aucune déduction fiscale prévue par le code des impôts (plan d’épargne retraite, pension alimentaire) n’étant admise lorsqu’ils étaient imposés sur une base forfaitaire.

71.  De nombreuses autres discriminations existent en matière de protection sociale. Ainsi les retraités britanniques résidant  dans un des pays n’ayant pas d’accord bilatéral de sécurité sociale avec le Royaume-Uni ont certes le droit de toucher leur retraite, mais elles ne sont pas indexées sur l’inflation, leur taux restant gelé au niveau en vigueur à la date de leur départ de Grande-Bretagne. Ainsi 350 000 retraites, essentiellement en Afrique du Sud et dans les Etats du Commonwealth (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) sont-elles  gelées, ce qui économise 275 millions de £ivres à la Grande-Bretagne. Un retraité établi depuis janvier 1979 dans un de ces pays ne recevra donc que £19.50 par semaine, au lieu des £56.10 auxquels il aurait eu droit en restant au Royaume-Uni.

Par ailleurs les expatriés ne bénéficient généralement pas des conditions octroyées à leurs compatriotes, par exemple en matière d’assurance-chômage, d’allocations familiales, ou de garantie de minimum vital.

ii. Les problèmes liés au droit de la nationalité

72.  Les problèmes de double-nationalité sont d’une grande acuité pour les Européens de l’étranger et en particulier pour ceux ou celles ayant épousé un ressortissant étranger. Ces questions, du domaine du droit international privé sont régies à la fois par les droits internes des Etats et par des conventions bilatérales ou plurilaterales, ce qui en accroît la difficulté.

73.  La Convention du Conseil de l’Europe du 6 mai 1963, ratifiée par un grand nombre d’Etats européens et qui stipule la perte automatique de la nationalité d’origine lors de l’acquisition de la nationalité de résidence, a entraîné de nombreux problèmes pour les Européens vivant à l’étranger qui ont dans leur ensemble souhaité sa renégotiation et un assouplissement de ses dispositions. Il devrait en effet être impossible de perdre la nationalité de son pays d’origine même en cas d’acquisition volontaire d’une autre citoyenneté (par exemple des suites d’un mariage)

74. La plupart des expatriés souhaitent en effet pouvoir préserver leur nationalité d’origine, parce qu’elle est partie intégrante de leur identité culturelle et affective. Mais ils  se voient souvent contraints à renoncer à leur nationalité d’origine, dans la mesure où  certains pays d’accueil n’acceptent pas la double nationalité.  Adopter celle du pays d’accueil facilite en effet l’accès à de nombreux domaines de la vie quotidienne, et ce même encore pour les ressortissants de l’Union européenne résidant dans un autre Etat membre, où l’égalité de traitement devrait pourtant être la norme.

75.  Il y a aussi parfois risque de perte de la nationalité d’origine pour les expatriés de la deuxième ou de la troisième génération. La dichotomie est là encore très grande entre les pays de tradition de jus soli comme la Grande-Bretagne, les pays nordiques et dans une moindre mesure la France  et les pays de jus sanguini comme l’Allemagne ou la Suisse;  autant les pays de droit du sang se prêtent-ils bien, de part leur conception ethnique de la nation (et par conséquent culturelle et affective) à une reconnaissance spécifique des droits de leurs expatriés – en particulier celui de nationalité-, autant les pays de droit du sol, lorsqu’ils ne sont pas pays d’émigration semblent-ils parfois privilégier l’assimilation et l’intégration de leurs immigrants au détriment du maintien du lien national civique avec leurs émigrants.

76.  Une extension du concept de citoyenneté européenne lancé à Maastricht aurait pu résoudre certains de ces problèmes; ce concept aurait d’ailleurs pu  être étendu sous certains de ses aspects aux Etats membres du Conseil de l’Europe.  Malheureusement ce concept de citoyenneté européenne, parce qu’il a été mal appréhendé s’est vu bloquer dans son évolution naturelle. Les réticences danoises en particulier l’ont intrinsèquement et inexorablement lié à la nationalité d’un Etat membre, alors qu’il aurait dû en être un prolongement, un enrichissement, et non une substitution. Jugé comme source potentielle de conflits dans des négociations déjà difficiles, on a préféré le laisser en l’état. Et bien que le sommet européen de Florence des 21 et 22 juin 1996 ait invité les Etats « renforcer la citoyenneté européenne sans remplacer la citoyenneté nationale et tout en respectant l’identité et les traditions des Etats membres », rien de substantiel n’est attendu lors des conclusions de la Conférence Intergouvernementale à Amsterdam en juin prochain.

iii. un difficile exercice des droits politiques

77.     Paradoxalement le concept de citoyenneté européenne risque de faire reculer dans certains pays de l’Union européenne le lien politique national avec leurs ressortissants expatriés. Ainsi les Français de l’étranger, qui, depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979, pouvaient voter dans leurs consulats pour des listes nationales françaises, risquent de se voir privés de cette possibilité. Il est en effet question d’un changement de mode de scrutin avec l’établissement de grandes circonscriptions régionales, dont une pour les départements et territoires d’Outre-Mer, mais aucune pour les Français de l’étranger. Cela les obligerait donc, soit à voter dans leur Etat de résidence s’ils se trouvent sur le territoire de l’Union Européenne, soit par procuration, comme pour les élections législatives, dans leurs circonscriptions de rattachement, avec pour corollaire une perte d’influence dans un scrutin qui pourtant les concerne directement.

78.  La participation des expatriés aux différents scrutins est traditionnellement faible, ce qui ne saurait les aider dans leurs revendications et pourrait même constituer à terme une menace pour leurs organismes de représentation. Ces forts taux d’abstention  s’expliquent à la fois par l’éloignement du lieu de vote, parfois à plusieurs centaines de kilomètres, par la complexité des procédures de vote, par une certaine indifférence aux enjeux de « politique politicienne » et surtout par un très grand manque d’information. Certains expatriés venus de pays longtemps non démocratiques ont aussi une certaine méfiance vis-à-vis des gouvernements en place. La notion du devoir de réserve à l’étranger est encore assez fréquente et est renforcée par le fait que certains pays comme l’Allemagne ou la Suisse, jusqu’à une date encore récente, refusaient aux étrangers la possibilité de voter sur leur territoire autrement que par correspondance.

IV.2. QUELQUES PROPOSITIONS DE MESURES A L’ECHELLE NATIONALE

i. Un encouragement à l’immatriculation.

79.  Une première étape serait de recenser systématiquement les nationaux expatriés, comme cela avait déjà été demandé par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe à tous ses Etats-membres. Un système commun de collecte et d’analyse des données devrait être établi à l’échelle européenne. L’on pourrait ainsi mieux analyser les déterminants sociologiques et économiques des flux et leurs incidences sur le pays d’origine. Il faudrait parallèlement encourager l’immatriculation, peut-être en en simplifiant les procédures ou en adoptant des mesures incitatives, comme la France le fait en réservant à ses immatriculés la possibilité de demander des bourses d’enseignement ou des allocations de soutien, et en simplifiant les formalités administratives nécessaires à cette immatriculation, avec par exemple la possibilité d’une inscription par correspondance ou par informatique.

L’immatriculation est en effet généralement facultative (quand elle n’a pas été supprimée comme c’est le cas pour les Néerlandais) et est en constante régression hors des pays à risques.

ii. Des droits politiques renforçés

80.  Le droit de vote est un élément essentiel du processus démocratique et tout européen expatrié devrait avoir droit à un plein exercice du droit de vote dans son Etat d’origine.

Il faudrait dans un premier temps inciter les Européens expatriés à s’inscrire sur les registres électoraux (où n’étaient par exemple inscrits en juin 1996 que 15.22% des Suisses de l’étranger). Mais une campagne d’information sur le droit de vote à l’étranger et ses enjeux – par insertion dans les journaux locaux, mailing ou tout autre moyen- serait indispensable à l’amélioration de la participation. Et il faudrait également réfléchir aux autres possibilités de lutte contre l’abstention, par exemple en développant l’usage du vote par correspondance, ou en simplifiant les procédures de vote par procuration.

81.  On ne peut réduire les droits politiques au simple droit de vote et il faut promouvoir parallèlement d’autres modes d’expression politique, comme la possibilité de prendre part aux débats publics, de créer des associations ou d’être éligible.

Il est particulièrement important que le droit de vote à l’étranger soit accompagné de garanties statutaires (par exemple en ce qui concerne le contrôle des opérations de vote ou la possibilité de faire une campagne électorale)

82.  La mise en place de structures consultatives, sur le modèle par exemple du CGIE italien ou du CSFE français, permettrait à la fois de relayer utilement auprès des gouvernements les préoccupations de leurs communautés expatriées, de renforcer leur sentiment national, de les informer et de  réfléchir collégialement aux mesures à adopter en faveur de ces communautés expatriées.

A défaut, (ou en complément),  il pourrait être envisagé de créer au sein des Parlements nationaux, comme c’est par exemple le cas pour les deux chambres du Sejm  Polonais, une commission chargée des questions relatives aux expatriés.

iii. des mesures concrètes d’accompagnement

83.  Un certain nombre de mesures importantes pourraient être prises à un coût raisonnable, voire nul. Ainsi l’obligation d’un soutien aux expatriés, partie intégrante de la nation, est déjà inscrite dans de nombreuses constitutions nationales et aussi par exemple dans toutes les chartes des conseils régionaux italiens; les Etats pourraient envisager de faire inscrire ce devoir dans tous leurs textes constitutifs.

Mais les Etats doivent considérer qu’une ligne budgétaire réservée à leurs expatriés (et éventuellement financée par une taxe para-fiscale sur les passeports par exemple) n’est pas un centre de coût mais un investissement rentable en termes de développement  culturel, linguistique, touristique, économique et commercial du pays d’origine.

En matière de fiscalité:

84. Les Etats devraient veiller  à la nécessité de créer ou réactualiser les conventions fiscales afin d’éviter la double-imposition; et à une application identique par les deux parties signataires des dispositions de ces mêmes conventions. Il faudrait par ailleurs éviter les double cotisations en matière de sécurité sociale et modifier certaines conventions fiscales ou de sécurité Sociale de façon à  prévoir l’emploi des conjoints.

En matière de protection sociale

85.     Beaucoup de pays sont signataires de conventions de sécurité sociale qui établissent l’égalité de traitement entre les nationaux des pays concernés – mais sans apporter les garanties sociales souhaitables, notamment en matière d’indemnisation du chômage-; Une bonne protection sociale est nécessaire et peut-être les Etats pourraient-ils réfléchir à l’exemple de la « Caisse des Français de l’étranger » qui a mis en place un régime juridique de sécurité sociale globale fondé sur le critère de nationalité et non sur le critère de territorialité, tout en apportant une couverture garantie à des catégories sociales qui en étaient jusqu’alors privées. La création  de fonds de solidarité ou d’allocations d’insertion pourraient également être envisagée.

En matière d’emploi

86.  Des structures d’information et de soutien des expatriés à la recherche d’un emploi devraient être mises en place dans le pays d’accueil, car c’est là que l’expatrié au chômage a généralement le plus de chances de retrouver un emploi. Ces structures peuvent être créés dans le cadre de consulats, comme c’est le cas pour les comités d’action consulaire français, ou dans des groupements associatifs.

Des mesures devraient être également prises pour autoriser – ou faciliter – l’emploi des conjoints de ressortissants expatriés, diplomates ou fonctionnaires internationaux.

En matière de culture et communication

87. Les nouvelles technologies de l’information, en évolution profonde constante et rapide pourront avoir un impact positif certain tant sur l’organisation des communautés d’expatriés (surtout si Internet peut être installé sur téléviseurs) que sur leurs communications avec l’Etat d’origine et même sur la propre pratique consulaire de ces Etats. Il est donc important que les Etats puissent très vite se positionner sur Internet en offrant un site et des informations spécifiques (juridiques, pratiques, civiques, culturelles et linguistiques) à leurs expatriés.

L’on pourrait également développer une communication entre expatriés et  réseaux d’enseignement et universités par le biais d’Internet. Terminaux informatiques et antennes satellites devraient être installés dans tous les centres culturels ou associatifs.  Ces nouvelles technologies de l’information pourraient être particulièrement utiles tant pour la formation continue et le perfectionnement des adultes expatriés que pour un enseignement bilingue aux enfants.

88.  Un enseignement précoce de la langue d’origine est indispensable et un enseignement de proximité pourrait être réalisé à coûts réduits par la création de réseaux d’enseignement complémentaire pour enfants et la formation de leurs animateurs.

Des négociations bilatérales devraient par ailleurs être menées dans des domaines comme la reconnaissance mutuelle des diplômes ou l’accès à des emplois de la fonction publique.

L’on devrait également s’attacher à la création de programmes télévisés ou radiodiffusés en direction des expatriés, à la  sensibilisation des média du pays d’origine aux questions préoccupant les expatriés, à l’encouragement d’une coopération entre les journaux publiés à l’étranger et les journaux et media du pays d’origine .

89.  Une réinsertion facilitée

C’est une des conditions d’une expatriation réussie et il faut que les Etats puissent à la fois informer et former des relais régionaux mais aussi préparer des structures d’accueil, d’information, avec par exemple une aide au logement et des stages de réinsertion culturelle et professionnelle pour ces « ré-émigrants ». Dans les Etats à risque il est aussi important de prévoir des soutiens à un rapatriement éventuel avec par exemple un fonds de solidarité ou une assurance en cas d’avoirs bloqués.

90.  En matière de nationalité

Les gouvernements devraient envisager de prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter la réintégration dans sa nationalité d’origine à toute personne le souhaitant et pour accepter, si ce n’est encore le cas, le principe de double nationalité.

91.  En matière d’action consulaire

Les consulats, parce qu’ils sont au centre de la vie des communautés expatriées, ne devraient pas se contenter d’un simple rôle administratif. Les consulats de certains Etats, outre les responsabilités traditionnelles ( par exemple envers les ressortissants incarcérés, décédés ou disparus et en matière d’enlèvement d’enfants), offrent des services très étendus en matière d’aide à l’emploi, d’assistance sociale, d’information fiscale, juridique et notariale, publient un bulletin d’information régulier et se sont même parfois attaché la présence d’un médecin. Il semble que les expatriés devraient au moins pouvoir y trouver une réponse aux questions concernant leurs relations avec le pays d’origine et une information sur leurs droits et devoirs vis-à-vis du pays d’accueil. Ils devraient aussi pouvoir y trouver une écoute attentive et éventuellement un soutien moral. Dans cet esprit, le personnel consulaire devrait bénéficier de programmes de formation régulièrement actualisés, notamment en techniques d’accueil.
IV.3 DES ELEMENTS DE REFLEXION A L’ECHELLE EUROPEENNE

i. L’exemple de l’Union européenne

92.  Les Etats membres du Conseil de l’Europe ayant vocation à rejoindre à plus ou moins long terme l’Union européenne, celle-ci pourrait servir de cadre de référence à une étude prospective sur les droits des expatriés en provenance des Etats membres du Conseil de l’Europe. Ainsi l’article 220 du Traité CE prévoit-il que les Etats membres engageront entre eux des négociations en vue d’assurer en faveur de leurs ressortissants « la protection des personnes ainsi que la jouissance et la protection des droits dans les conditions accordées par chaque Etat à ses propres ressortissants ».

Il pourrait être ainsi envisagé d’étendre progressivement à ces Etats certaines règles ou instruments déjà mis en place ou projetés dans le cadre de l’UE, – et ce même si les applications pratiques du cadre juridique de la liberté de circulation sont encore très imparfaites- .

93. En matière de protection consulaire, l’Article 8 C du Traité de Maastricht offre aux nouveaux citoyens européens « le bénéfice, sur le territoire d’un pays tiers où l’Etat membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection de la part des autorités diplomatiques et consulaires de tout Etat membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet Etat ». Voilà une disposition peu coûteuse, voire génératrice d’économies en hommes et en moyens qui pourrait peut-être se voir étendue aux Etats membres du Conseil de l’Europe. Beaucoup d’activités consulaires pourraient en effet être utilement et facilement regroupées dans un seul pôle consulaire.

94. En matière d’enseignement, l’Union européenne montre aussi la voie et l’article 3 de la directive 77/486 relative aux enfants de travailleurs migrants prévoit que « les Etats membres prennent, conformément à leur situation nationale et à leurs systèmes juridiques, et en coopération avec les Etats d’origine, les mesures appropriées, en vue de promouvoir, en coordination avec l’enseignement normal, un enseignement de la langue maternelle et de la culture du pays d’origine. ».

95. Des programmes télévisés spécifiques pourraient être envisagés. Plusieurs Etats en produisent déjà, mais l’on pourrait envisager de développer une coopération et des réseaux de production à l’échelle européenne.

96. Les nouvelles technologies devraient par ailleurs permettre la création de réseaux non seulement entre les Européens et leur Etat d’origine mais aussi entre les associations et les organismes représentatifs d’Européens .
ii. Pour une aide concrète sur le lieu de résidence

97.  Il serait nécessaire d’envisager une harmonisation des politiques migratoires et des situations juridiques des ressortissants non communautaires au sein de l’Union européenne afin que la liberté de circulation intra-européenne ne soit pas source d’effets pervers pour les ressortissants d’Etats membres du Conseil de l’Europe (mais non membres de l’Union européenne) résidant sur le territoire de l’UE. Certains mécanismes mis en place par l’UE, comme par ex le règlement 1408/71 visant à coordonner les systèmes nationaux de sécurité sociale pour permettre la libre circulation, pourraient être progressivement appliqués aux Etats membres du Conseil de l’Europe.

98. Un espace de convergence pourrait ainsi être recherché par les Etats européens, avec une attribution de droits de résidence ou « droits de citoyenneté » pour les non-nationaux dans le pays d’accueil, indépendante d’un faisceau de « droits nationaux » liés à l’appartenance à une nation. Ce serait là un progrès considérable

iii.pour une meilleure représentation politique et institutionnelle

99.  Une amélioration de la participation et la représentation au niveau national passe sans nul doute par la mise en place d’un instrument juridique international, par exemple une convention qui pourrait être mise en place par le Conseil de l’Europe et qui définirait des positions communes quant au vote dans chaque pays, dont par exemple les possibilités de campagne électorale ou d’utilisation des locaux publics le jour de l’élection .

Beaucoup d’Etats souhaiteraient en effet avoir la possibilité d’organiser des élections en plusieurs points du territoire hôte, afin de faciliter la participation de leurs nationaux éloignés de la capitale, mais ils se heurtent au refus de certains pays  de prêter des locaux publics à cette fin. La Suisse et l’Allemagne interdirent par exemple pendant longtemps tout vote sur leur territoire, y compris dans des consulats, mais ont récemment levé cette interdiction.

100. Une représentation spécifique des expatriés européens dans les institutions européennes devrait être encouragée. Ainsi le Conseil Supérieur des français de l’étranger a-t’il demandé officiellement, dans le cadre de la réflexion actuelle sur une éventuelle modification  du mode d’élection au Parlement européen et la création de circonscriptions régionales, la création d’une circonscription spécifique aux Français de l’étranger. On pourrait aussi imaginer une circonscription trans-nationale au Parlement européen qui serait réservée aux Européens résidant à l’étranger (ce qui permettrait la participation des ressortissants communautaires résidant hors de l’Union européenne, la plupart n’ayant actuellement aucune possibilité de vote pour ces élections)

101. Il serait souhaitable d’envisager une représentation spécifique au Conseil de l’Europe avec par exemple un  conseil formé de représentants élus des différentes institutions ou associations nationales, qui pourrait  s’intégrer- en tant que troisième Chambre-  au sein du « Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en Europe ».

iv. Une réflexion sur les concepts de nationalité et de citoyenneté

102. Enfin, et de manière beaucoup plus ambitieuse, il faudrait s’atteler à  une réflexion sur le bien-fondé de l’assimilation  citoyenneté-nationalité telle qu’elle existe dans de nombreux pays et dans la convention sur la nationalité du Conseil de l’Europe en cours de discussion.

Car la Convention sur la nationalité du Conseil de l’Europe, si elle a le mérite de rectifier beaucoup d’erreurs de la Convention de Strasbourg de 1963, notamment en matière de double-nationalité et d’obligations militaires, est basée sur le principe de l’indissociabilité et de l’interchangeabilité des concepts de citoyenneté et de nationalité. Certes cette conception est celle d’un certain nombre d’Etats européens comme la France, mais il n’en est pas de même dans d’autres pays où Etat et nation ne coïncident pas toujours et où une même citoyenneté s’applique à des nationalités légalement reconnues.

103. En séparant le concept de citoyenneté (ou « Staatsbürgerschaft ») de celui de nationalité (ou « StaatsangehÖrigkeit »), et en dissociant clairement deux ensembles de droits: ceux liés à la résidence dans un espace géographique donné (« les droits de cité ») et ceux liés à une appartenance identitaire, culturelle et civique nationale, au-delà de la définition classique de l’Etat souverain sur la base de la notion de territoire, on pourrait sans doute résoudre de nombreux problèmes, et en particulier ceux liés aux divergences étatiques d’interprétation du concept de citoyenneté européenne tel qu’établi dans le traité dit de Maastricht

104. L’on devrait pouvoir ainsi résoudre le problème des ressortissants des Etats-tiers  sur le territoire de l’Union européenne: tous les résidents pourraient se voir octroyer, après un nombre d’années dans un Etat membre donné,  une citoyenneté européenne porteuse de droits de résidence, sociaux, civiques et politiques, les droits liés à la nationalité (et donc attribuables aux Européens expatriés) demeurant la prérogative de l’Etat-membre. La citoyenneté européenne, parce qu’elle serait intimement liée à une résidence d’une durée dont le minimum serait à définir en commun, pourrait se perdre lors d’un retour définitif dans un Etat d’origine non membre de l’Union européenne. Mais elle serait également automatiquement accordée à tous les ressortissants de l’Union européenne, qu’ils résident ou non sur son territoire.

105. Une telle dissociation pourrait également être un élément de réponse dans le problème des minorités qui a pris une importance cruciale après l’effondrement du système communiste dans l’Europe du Centre-Est. Peut-être aurait-elle pu empêcher la désintégration des Etats européens multinationaux et la recrudescence des guerres ethniques. Sans doute pourrait-elle en empêcher d’autres.

106.  Cette réflexion pourrait à terme amener à réduire les disparités étatiques en matière de droit de la nationalité dans les pays européens, et qui sont un obstacle essentiel à la mise en place d’une politique et d’une base juridique communes de l’expatriation. ll serait pourtant pertinent de créer, dans le cadre d’un ordre juridique européen en pleine mutation, un véritable statut européen de l’expatriation qui comprendrait un ensemble de droits fondamentaux inaliénables, non plus selon l’expression de Bobbio, un « droit des gens » mais un « droit des individus ».

CONCLUSION

107. A l’heure de la mondialisation des échanges culturels et économiques, de l’instabilité des relations politiques internationales et de flux migratoires transeuropéens en pleine croissance, les Etats se doivent de réfléchir à l’intégration du phénomène d’expatriation dans leur politique nationale et internationale. Car leur action extérieure ne saurait se réduire à une politique étrangère et diplomatique qui n’intégrerait pas un projet cohérent en ce domaine.

108. Une telle intégration serait légitime, dans la mesure d’une part où un Etat ne peut se désintéresser de ses ressortissants, fussent-ils résidents à l’étranger et où d’autre part la pleine participation des expatriés à la vie politique de leur Etat d’origine serait l’expression et l’aboutissement naturel d’un processus démocratique réussi. Elle serait aussi utile, dans la mesure où un renforcement des liens entre les Etats et leurs ressortissants ne peut qu’être bénéfique aux différentes parties concernées, et notamment aux Etats qui pourraient ainsi s’appuyer sur des réseaux particulièrement motivés et efficaces.

109. Les efforts entrepris pour le renforcement des relations entre les  Etats et leurs ressortissants à l’étranger peuvent bien sûr entraîner un certain nombre de coûts, à l’heure où beaucoup d’entre eux s’attellent à une politique de réduction des dépenses publiques. L’on doit donc également s’interroger sur le montant des mesures envisageables en ce domaine, et vérifier à la fois l’adéquation des moyens alloués aux priorités exprimées et celle des résultats aux initiatives. Les initiatives prises par les Etats pour renforcer leurs liens avec leurs ressortissants à l’étranger doivent cependant être appréhendées comme un investissement rentable en termes de développement culturel, linguistique, économique, financier, touristique et commercial.

110. Le document ci-dessus ne pouvait, dans les limites qui lui ont été imparties, que tenter une première approche de l’expatriation des Européens, de ses caractéristiques et de ses enjeux. Cette étude devrait cependant, de par ses limites même, avoir convaincu de la nécessité de poursuivre une analyse descriptive approfondie et systématique de ce qui reste encore un domaine largement inexploré.  Sur la base d’un examen comparatif, par exemple dans le cadre d’un groupe de travail où chaque Etat membre du Conseil de l’Europe aurait un représentant, les gouvernements pourraient, à l’aune de leurs diverses expériences, décider en commun des priorités et orientations qui pourraient être les leurs en ce domaine, et travailler à la création d’un véritable statut de l’expatrié par des instruments juridiques européens appropriés. Une concertation et une coopération à l’échelle européenne en ce domaine seraient en domaine tout particulièrement justifiées.

ANNEXE

LES RESSORTISSANTS EUROPEENS RESIDANT HORS DE LEUR ETAT D’ORIGINE

ETAT                   TOTAL POPULATION    NOMBRE DE RESSORTISSANTS A L’ETRANGER   (ESTIMATION.)

ALBANIE                 3.44 millions      6 à 7 millions (dont 2 millions au Kosovo)

ALLEMAGNE               81.7 millions      pers. parties en 93: 796 900

ANDORRE                 62 500            env.400 (850 avec étudiants)

AUTRICHE                8 millions         env. 1 million

BELGIQUE                10.14 millions    env. 700 000 (dont 155 000 immatriculés)

BULGARIE                8.39 millions      env. 2 millions

CHYPRE                  740 000            env. 500 000

CROATIE                 4.78 millions      env.3.5 millions (dont env.500 000 ayant passeport croate)

DANEMARK                5.25 millions      seul chiffre obtenu du Gvt: 23 500 émigrants en 1996

ESPAGNE                 39 millions        1.167 461 immatriculés

ESTONIE                 1.48 millions      env. 1 million

FINLANDE                5.12 millions      env. 1 million

FRANCE                  58.4 millions      1.7 million (dont 889 000 immatriculés)

GRECE                      10.5 millions   env. 5 millions

HONGRIE                 10.26 millions    env.4.5 millions (15 millions d’origine hongroise)

IRLANDE                 3.6 millions      env. 3 millions (dont 1,1 million nés en Irl. env 50 millions d’origine

irl.(40 millions aux Etats-Unis)

ISLANDE                 268 951            22 425

ITALIE                  57.2 millions      30 millions (dont 3.5 millions inscrits danss consulats.)

LETTONIE                2.49 millions      env.300 000

LIECHTENSTEIN           30.629             1015 (immatriculés dans consulats suisses)

LITUANIE                3.71 millions      env.3.5 millions

LUXEMBOURG              395 000            (chiffres en attente; aucune centralisation des immatriculés!)

MACEDOINE    1.936 877                     env.400 000 (« ex- Rép. yougoslave de »)

MALTE                   370 000            env.1.5 million

MOLDOVA                 4.35 millions      (chiffres en attente)

NORVEGE                 4.369 957         pas d’immatriculation hors des zones de guerre ; estimation en attente

PAYS-BAS                15.5 millions      immatriculation supprimée; refus de donner toute estimation

POLOGNE                 38.6 millions      env.10 millions

PORTUGAL                9.91 millions      est. 4 600 000

ROUMANIE                22.681 000         env 3 à 4 millions

ROYAUME-UNI             58.6 millions      est. 11 millions

RUSSIE                  148 millions       env.25 millions

SAINT-MARIN             24 000            13 000

SLOVAQUIE               5.4 millions       env. 2.5 millions

SLOVENIE                1.98 millions      env. 1 million

SUEDE                   8.838 000         aucun registre

SUISSE                  7 millions         541 302 immatriculés(dont 374 069 double-nationaux)

REP.TCHEQUE             10.3 millions      env.3.5 millions

TURQUIE                 61.6 millions      3.368 675

UKRAINE                 51.667 millions    env.800 000