Mar 25 2014

Turkménistan (26-28 mars 2014)

turkmenistan

A l’Institut pour la Démocratie du Turkménistan

Le Turkménistan, 5 millions d’habitants, Etat autocratique à parti unique (le Parti Démocratique) jusqu’à la création du « Parti des industriels et des entrepreneurs » en 2012, est longtemps resté un des pays les plus fermés au monde extérieur. Sous l’impulsion de son Président Gourbanguy Berdymouhammedov , Chef de l’Etat mais aussi chef du gouvernement, commandant en chef de l’armée et président du parti au pouvoir, successeur en 2007 de l’ancien « Président à vie » et « Turkmenbachi » (Père des Turkmènes) Niazov dont il était le vice-Premier ministre et ministre de la Santé ; il semble aujourd’hui progresser sur la voie de l’ouverture. Le Président multiplie les déplacements à l’étranger (dont une visite officielle à Paris en février 2010) et profite du statut de neutralité du pays pour s’émanciper peu à peu de la Russie – au profit de la Turquie de l’Iran et de l’Union européenne- , et refuser de participer aux initiatives d’intégration renforcée au sein de la CEI et d’adhérer aux organisations régionales sous tutelle russe comme l’organisation de coopération de Shanghaï. Le Turkménistan travaille d’ailleurs à renforcer la coopération énergétique avec l’UE, notamment dans le cadre du projet de constructions des gazoducs Transcaspien et Nabucco qui permettraient d’envoyer les hydrocarbures turkmènes via le Caucase et la Turquie.

La constitution a été réformée en septembre 2008, une nouvelle loi électorale adoptée, avec le Parlement (Majilis) passant de 65 à 125 députés, sans tentative cependant de séparation des pouvoirs. Le Gouvernement (Cabinet des Ministres) est constitué de 10 Vice-Présidents du Cabinet du Ministre, couvrant chacun plusieurs ministères.

Le Turkménistan est un pays de contrastes considérables, avec une croissance insolente aux alentours de 9% par an, liée essentiellement à ses immenses réserves en hydrocarbures (50% du PIB, 90% des exportations, le gisement de Galkynysh, 2ème au monde avec 21.200 Mds m3 de gaz), de gigantesques programmes publics d’investissements notamment à à Achgabat et une population restée dans sa majorité à l’écart de cette croissance (chômage estimé à près de 40% par le BIT en 2010 – aucun chiffre de source turkmène n’est disponible- mais il est vrai que la population bénéficie d’un accès quasi-gratuit à l’électricité, au gaz, aux transports, au sel et à l’eau).

Le culte de la personnalité qui entoure Berdymouhammedov est saisissant : son portrait s’affiche partout , d’ immenses et luxueuses suites lui sont réservées dans tous les hôtels, tous les bâtiments publics, et les propos révérencieux en référence à son action ou à la moindre de ses paroles s’égrènent en litanies. N’a-t-il d’ailleurs pas décrété que le Turkménistan était « le pays du bonheur de l’Etat puissant » ?

Le jour de mon arrivée avait lieu à 8h30 l’inauguration d’un nouveau terminal « provisoire » de l’aéroport (le prochain devant être fini dans deux ans) en présence de dizaines de milliers de personnes dans un cérémonial imposant, tous les étudiants en uniforme (y compris les longues nattes obligatoires pour les jeunes filles) massés depuis des heures le long des routes menant à l’aéroport pour agiter des ballons, des drapeaux en scandant « gloire à notre bienfaiteur bienaimé » avec un groupe d’enfants en uniforme de pilotes et hôtesses de l’air chantant et dansant sur une chorégraphie maintes fois répétée avant l’arrivée du Président (qui allait les remercier en offrant ensuite à chacun un ordinateur portable…).

Avec le vice-ministre des affaires étrangères du Turkmenistan

le Vice-Ministre des Affaires étrangères S.E. Vega Seksengueldievitch Khadjiev

Mes rencontres tant avec le Vice-Ministre des Affaires étrangères S.E. Vega Seksengueldievitch Khadjiev (en l’absence du ministre Meredov , en déplacement à Kaboul), le président de la Commission des Affaires étrangères et interparlementaires du Parlement M. Abadjan Byachimov et le directeur de l’Institut pour la Démocratie et les Droits de l’homme Armandourdy Arabov m’ont permis de longuement débattre des moyens de renforcer nos relations bilatérales, mais aussi de faire un point sur les avancées économiques et sociales et les droits de l’Homme ainsi que sur les défis sécuritaires de ce pays en majorité sunnite, en pleine expansion dans une zone particulièrement sensible, entre l’Afghanistan et l’Iran, 25% de la drogue afghane passant par ses frontières communes.

Alors que nous avons ouvert une ambassade en 1999, après avoir parrainé 4 ans plus tôt la Résolution de l’ONU proclamant la neutralité du Turkménistan, notre présence française dans le pays reste faible, avec seulement 403 Français inscrits au registre à la fin 2013.

Le luxe de l'hôtel Pullman (pas encore ouvert au public) d'Ashgabat

Le luxe de l’hôtel Pullman

Nos ressortissants français appartiennent essentiellement à la communauté d’affaires, notre implantation étant liée aux grands contrats, essentiellement ceux de Bouygues et Vinci qui se partagent la construction de bâtiments de prestige, le siège du gouvernement (« Cabinet des ministres ») , le ministère des affaires étrangères, les hôtels Sofitel et Pullman. Des hôtels qui auront du mal à être rentabilisés (le Pullman n’ayant par exemple que 115 chambres, mais des prestations luxueuses dont un spa gigantesque et très sophistiqué, sans doute un des plus grands au monde…) étant de toute évidence plus des vitrines à la gloire du Président qu’un investissement à visée commerciale.

Notre part de marché au Turkménistan est seulement de 3% mais tend à progresser, 15 entreprises françaises y étant aujourd’hui implantées ( Bouygues, Accor, Cifal, Dgt Logistic, Schlumberger, Schneider Electric, Technip, Thales,Total, Vinci, CIS, Eurocopter). Nos résultats demeurent cependant très insuffisants dans ce pays, alors que nous y jouissons d’un vrai capital de sympathie et que les possibilités y sont énormes. Comment par exemple ne pas s’étonner de l’absence de Renault ou Citroën dans le pays alors que les voitures allemandes et japonaises sont elles très présents? Nous n’ exportons encore aujourd’hui que pour 176 Millions d’Euros (essentiellement des biens d’équipement électriques et mécaniques et des biens intermédiaires comme les minéraux et produits chimiques) loin derrière les principaux fournisseurs du pays que sont l’Iran, la Russie la Turquie, la Chine, les Émirats arabes unis, l’Allemagne et l’Italie.

A l'école française de la base-vie de Bouygues au Turkmenistan qui scolarise enfants de 2 ans jusqu'au bac

A l’école française de la base-vie de Bouygues

Bouygues est le principal entrepreneur dans le pays, implanté depuis 1994, avec un chiffre d’affaires de 2,5 Milliards d’Euros, la moitié du chiffre d’affaires du groupe à l’international. J’ai eu plaisir à les rencontrer et à visiter leurs locaux , sur une « base-vie » un peu à l’écart d’Achgabat, avec un centre médical, une école scolarisant les enfants de 2 ans jusqu’à la terminale, un restaurant, un club de sports, un club de loisirs, une supérette avec des produits français et du pain frais cuit chaque matin….

Mais les hommes d’affaires français, tout comme les ambassadeurs européens avec lesquels je me suis entretenue soulignent les difficultés récurrentes du travail dans ce pays, notamment à cause d’une bureaucratie lourde et tatillonne, d’un processus de prise de décision assez opaque et d’un système bancaire encore peu développé. En l’absence de ratification de la Convention fiscale entre nos deux pays (sujet que je vais m’employer à faire avancer dès mon retour!) les investisseurs sont contraints de finir leurs travaux dans un délai de 2 ans, sous peine d’être très lourdement taxés. Ce qui oblige à travailler sous des contraintes-temps très lourdes , auxquelles s’ajoutent l’absence de vraies garanties contractuelles. Ainsi la réalisation du Cabinet des Ministres qui avait été engagée pour un montant de 175 millions d’Euros, a vu ce budget initial doubler du fait des multiples demandes et changements imposés en dernière minute (comme la destruction de la magnifique salle de bains en onyx de la suite présidentielle, des tests ayant montré que les veines encastrées dans ce matériau était légèrement radioactives) , ce doublement étant à la charge du maître d’œuvre…

Déjeuner de travail chez notre ambassadeur au Turkmenistan. Avec les ambassadeurs de Roumanie, Italie, Allemagne, UE

Déjeuner de travail chez notre Ambassadeur au Turkménistan, avec les ambassadeurs de Roumanie, Italie, Allemagne et UE

Nous devons également développer notre coopération qui ne bénéficie que d’une enveloppe de 76 000 Euros en 2013, ce chiffre comprenant 2 bourses pour des hauts fonctionnaires. La toute petite équipe de l’ambassade, sous la direction de l’excellent ambassadeur Pierre Lebovics, fait cependant des merveilles et avec le soutien des entreprises françaises vient de déplacer les locaux de l’Institut Français du Turkménistan (seul centre culturel occidental d’Achgabat!) dans un lieu plein de charme et de potentiel avec des activités diverses et innovantes en formation de profs turkmènes, danse, musique, théâtre et cinéma, avec par exemple un projet de festival de films sur le cheval.

En résumé, il est important de renforcer notre présence au Turkménistan. Les évolutions en matière de droits de l’Homme, avec notamment la libération en février 2013 des deux journalistes condamnés à 7 ans de prison pour avoir collaboré au tournage d’un reportage de France 2 sur « la folie Niazov », mais aussi avec l’instauration d’un nouveau Code de la famille, l’élévation de l’âge du mariage des filles, la mise en place d’un plan d’action sur l’égalité hommes femmes, la préparation d’un Code pénal et un dialogue annuel avec l’UE sur les droits de l’Homme nous le permettent aujourd’hui. De toute évidence les Turkmènes souhaitent ce rapprochement avec notre pays, le Président de la commission des Affaires étrangères nous promettant même que le premier groupe d’amitié du Parlement serait institué avec la France. La mise en place d’un vol direct par Turkménistan Airlines devrait être un facteur important de développement de nos relations, mais il faudrait développer aussi l’intérêt de nos entreprises pour ce pays prometteur.

Notre langue, qui n’était pas enseignée au Turkménistan avant 1995 jouit elle aussi d’un regain d’intérêt et est maintenant enseignée dans 7 écoles d’Achgabat et dans 2 universités ainsi qu’à des diplomates à l’Institut des Relations internationales, alors que l’Institut français voit une croissance régulière du nombre d’apprenants (+ 25% en 2013). Il nous faut développer notre offre de bourses, sur le modèle de celles mises en place avec Total. Il nous faudra aussi poursuivre la coopération engagée dans le domaine du cheval, le président turkmène possédant plus de 300 chevaux et ayant fondé et président une association internationale de l’élevage de la race Akhal Teke, et ayant créé de nouveaux hippodromes et infrastructures pour l’élevage et les sports équestres.

Comme dans l’Asie centrale en général, on ne peut développer nos échanges que sur la base de liens de qualité, chaleureux, concrets, constructifs et installés dans la durée. D’où l’importance d’un accompagnement et d’un suivi continu des dossiers et de visites régulières à un haut niveau.

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