Jan 30 2015

La France doit savoir ce qu’elle veut dans un monde qui change sans elle (Le Figaro)

Le Figaro du 30/01/15

Le Figaro du 30/01/15

Tribune cosignée avec Hervé Mariton publiée dans Le Figaro du 30 janvier 2015:

La France doit savoir ce qu’elle veut dans un monde qui change sans elle

HERVÉ MARITON ET JOËLLE GARRIAUDMAYLAM

En matière de diplomatie, notre pays doit concentrer ses moyens au lieu de les disperser, plaident le député UMP de la Drôme*et la sénatrice UMP des Français de l’étranger**.

Quelques jours après les vœux adressés par le président de la République au corps diplomatique, il nous paraît nécessaire de réfléchir aux évolutions de la politique étrangère de la France. En effet, la mondialisation a transformé durablement le paysage des relations internationales. Les crises peuvent connaître aujourd’hui une résonance quasi planétaire et instantanée via les médias sociaux et traditionnels, comme sont venus le rappeler les événements tragiques et le sursaut magnifique qui ont marqué la France en ce début d’année. La redistribution de la richesse, répondant à une force de rappel pluriséculaire, détourne dans le même temps des pays occidentaux le lit de la prospérité pour en irriguer le monde (ré)émergent.

Dans ce contexte, c’est l’union qui fait la force. La France doit donc résolument poursuivre son intégration dans les alliances stratégiques que sont l’Union européenne et l’Otan. Elle doit y peser davantage et adopter une démarche pragmatique, par exemple en militant pour la constitution d’un pilier européen de l’Otan plutôt qu’une chimérique Europe de la défense.

Mais elle ne doit pas pour autant cesser d’exprimer sa voix propre. La crise avec la Russie illustre l’approche singulière qui peut être celle de la France : solidaire du monde occidental pour faire respecter le droit international et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais en gardant toujours une main tendue vers la Russie qui, sans être occidentale, fait assurément partie de la civilisation européenne.

Notre relation avec l’Arabie saoudite ou le Qatar doit suivre la même logique : ferme sur la question des droits de l’homme, dont le non-respect dans ces pays peut venir légitimer l’islamisme radical, mais respectueuse de l’alliance stratégique que nous avons nouée avec eux et qui est une des conditions de notre influence au Moyen-Orient autant que de notre sécurité intérieure, à travers la coopération de nos services de renseignements.

Ces dossiers témoignent de notre responsabilité de faire entrer pleinement la France dans le XXIe siècle, en lui évitant deux erreurs fatales : celle de la dispersion, dont nous n’avons plus les moyens, et celle du repli, prélude à la décadence. C’est l’état d’esprit qui a animé nos travaux avec la Boîte à idées et Droit au cœur, dont nous pouvons tirer cinq propositions principales.

Aucun pays, si puissant soit-il, ne peut aujourd’hui assurer une présence crédible sur la totalité des dossiers internationaux. Cette nécessité d’établir des priorités s’est exprimée aux États-Unis par la politique de rebalancing du président Obama. La question se pose a fortiori pour la France, déjà lourdement engagée dans le monde malgré des moyens militaires en constante réduction. Nous devons ainsi focaliser et consolider notre influence politique là où les enjeux sont élevés et où s’expriment des attentes fortes vis-à-vis de la France, à savoir l’Afrique et le Moyen-Orient.

Respectée en tant que puissance politique régionale, la France n’en sera que plus crédible pour développer, sur une base de projets et de partenariats, ses relations économiques avec les pays émergents, qui seront les moteurs économiques de demain (Brics, mais aussi Vietnam, Colombie, Turquie, Éthiopie, Nigeria). Ils doivent être les premiers bénéficiaires d’un redéploiement des emplois disponibles dans le réseau diplomatique.

Parallèlement à ce recentrage géographique, notre diplomatie doit également se recentrer sur son cœur de métier : l’analyse politique et la défense de nos positions. Le ministère des Affaires étrangères pourrait ainsi se doter d’une direction de la communication au mandat étendu, allant du recueil de l’information (avec des liens plus étroits avec les services de renseignements, dont l’apport demeure en France sous-valorisé) à l’élaboration d’une présence médiatique offensive. Il ne faut, en revanche, pas tout attendre de nos diplomates : s’il est très vertueux de vouloir les sensibiliser aux aspects économiques de nos relations internationales, n’oublions pas que les premiers acteurs de nos succès à l’export sont les entreprises elles-mêmes.

La France pourrait en revanche, la première, se doter d’un réseau diplomatique déconcentré, numérique et structuré autour des acteurs de la société civile. Les ambassades doivent affirmer leur rôle de catalyseur dans l’animation et la mise en contact des communautés touchant à la France à l’étranger pour constituer une véritable « diplomatie bis » rassemblant jeunes actifs français expatriés, entrepreneurs et patrons français d’entreprises étrangères, mais aussi les élèves et anciens de notre réseau éducatif et nombre d’acteurs francophones – autant d’ambassadeurs de coeur qui pourraient porter nos valeurs dans le monde.

La Francophonie doit devenir une priorité cardinale de notre action extérieure. D’un supplétif diminué de notre politique étrangère en Afrique, elle a le potentiel de devenir une organisation clé sur un nombre croissant de sujets : gestion de crises sanitaires comme l’épidémie d’Ebola, sécurité, négociations commerciales ou climatiques. En contrepartie d’un renforcement de son financement, dont la France pourrait prendre l’initiative, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) doit s’ouvrir à de nouvelles missions économiques et de nouveaux partenaires privés autant que souverains, en priorité en Afrique, mais aussi en Europe et au Moyen-Orient (Israël ayant naturellement vocation à rejoindre l’OIF), afin de devenir un véritable forum d’affaires.

Membre éminent du Conseil de sécurité de l’ONU, de l’UE et de l’Otan, puissance outre-mer disposant du deuxième domaine maritime mondial, passerelle entre le monde occidental et la Russie, puissance politique influente en Afrique et au Moyen-Orient, fer de lance de la Francophonie, la France a incontestablement des atouts à faire valoir dans le monde globalisé du XXIe siècle. Le fort retentissement international de la marche républicaine du 11 janvier montre en tout cas que la France est une grande nation et qu’elle peut encore inspirer le monde. À elle d’y croire désormais !

* Président de Droit au cœur, ancien ministre.

** Secrétaire nationale de l’UMP à la francophonie.