Jan 17 2016

Binationalité et terrorisme… ne nous laissons pas enferrer dans un faux débat

Drapeau françaisLes binationaux font de commodes boucs-émissaires en temps de crise. Quand ce n’est pas sous l’angle de l’exil fiscal qu’ils sont pointés du doigt, c’est sous celui du terrorisme… Bien sûr, personne n’a osé prétendre que tous les binationaux étaient des terroristes en puissance, mais la polarisation du débat sur leur statut juridique pointe leur vulnérabilité. Nous avions cru les diatribes contre les double-nationaux et leur prétendu manque de loyauté en temps de conflit reléguées à jamais dans les poubelles de l’Histoire. Les terroristes parviendraient-ils à ressusciter ces sombres fantômes ? Nous feront-ils inscrire dans la Constitution une différence de sécurité juridique entre citoyens ?

Si les plurinationaux ne représentent que 5% de la population hexagonale, ils comptent pour près de la moitié des 2,5 millions de Français établis à l’étranger. En France comme ailleurs, la plurinationalité représente une véritable chance, un levier inestimable pour faire progresser notre influence et nos intérêts économiques, linguistiques ou culturels. La possession de deux passeports facilite la mobilité professionnelle et les possibilités de monter des projets à l’international, sans s’embarrasser de freins administratifs souvent opposés aux étranger.

Rappelons-nous que la France a été l’un des premiers pays au monde à reconnaître la double-nationalité. Aujourd’hui, plus de la moitié des États de la planète la reconnaissent et la tendance s’accélère. Même la Belgique et l’Allemagne, longtemps réfractaires à ce principe, ont rejoint le mouvement respectivement en 2010 et 2013.

Si aujourd’hui les binationaux sont visés c’est un peu « par défaut », victimes collatérales du tabou international entourant l’apatridie. Peu importe que seuls deux des terroristes passés à l’acte en France ces dernières années soient binationaux. Peu importe que le nombre potentiel de personnes concernées (et non déjà couvertes par la loi existante) soit infime.

Aujourd’hui, le mot « déchéance » a été prononcé, et il faut trouver coûte que coûte un moyen de concrétiser la promesse… au risque de s’enferrer dans un faux débat en stigmatisant sans raison tout un pan de la population. Quid du principe de proportionnalité ? La déchéance de nationalité ne doit pas être un débat tabou en soi – même si je préférerais la notion d' »indignité nationale » applicable à tous, mais encore faut-il en expliciter les objectifs et les modalités.

En Grande-Bretagne, plusieurs dizaines de déchéances de nationalité ont été prononcées ces dernières années, principalement pour des britanniques partis combattre dans des zones de djihad. La mesure avait clairement l’objectif de compliquer leur retour sur le territoire britannique et donc d’éviter des risques d’attentat. François Hollande et Manuel Valls proposent pour leur part de déchoir de la nationalité française des personnes « définitivement condamnées » pour terrorisme. Il ne s’agit donc nullement de prévenir des attentats. Par ailleurs, empêcher le retour sur le territoire national de « combattants étrangers » – selon la terminologie employée dans la résolution n°2178(2014) de l’ONU – ne nécessite nullement d’en venir à une déchéance de nationalité. Le retrait du passeport ou de la carte d’identité et son remplacement par un récépissé peuvent suffire, et c’est ce que pratique l’Allemagne.

De même, la déchéance de nationalité ne facilitera pas forcément l’expulsion des personnes condamnées pour terrorisme. La Cour européenne des droits de l’Homme a plusieurs fois invalidé des décisions d’expulsion de djihadistes binationaux risquant des « traitements inhumains ou dégradants » dans l’autre pays dont ils étaient ressortissants. Quant aux mononationaux rendus apatrides, il serait bien difficile de les expulser vers un pays tiers.

Quelles seraient les autres conséquences concrètes d’une déchéance de nationalité ? Le retrait du droit de vote et d’éligibilité – est-ce vraiment dissuasif pour des terroristes nihilistes ? Le symbole d’une peine infamante de rejet de la communauté nationale – des djihadistes n’y verront-ils pas au contraire un motif de fierté ? La perte de la nationalité n’aurait pas, en soi, d’impact majeur sur les droits civils, économiques et sociaux, qui sont pour la plupart garantis aux étrangers aussi bien qu’aux Français.

C’est donc avant tout sur la loi et non sur la Constitution qu’il faut fonder notre lutte contre les terroristes. Les articles 25 et 25-1 du Code civil organisent d’ores et déjà la déchéance de nationalité pour des binationaux ayant acquis la nationalité française depuis moins de 15 ans. De plus, l’article 23-7 du même code permet la perte de la « qualité de Français » d’un individu se comportant « en fait comme le national d’un pays étranger » et ayant la nationalité de ce pays – une formulation qui ne permet pas de couvrir le cas des djihadistes puisque la nationalité « de l’Etat islamique » n’existe pas. Sans doute serait-il possible de réviser ces articles sans réformer notre Constitution… Réformer la Constitution par crainte d’un avis négatif du Conseil constitutionnel sur une modification de la loi s’apparente à casser le thermomètre pour masquer la fièvre.

Au-delà des principes constitutionnels et des slogans, c’est aussi de la formulation précise de la loi que dépendra l’opérationnalisation du concept de déchéance. A qui s’appliquera-t-il ? Des personnes condamnées pour terrorisme ou également suspectes ? Des personnes portant atteinte « aux intérêts de la Nation », y compris au-delà du terrorisme ? Des coupables de crimes et délits divers, comme le prône le FN ? Des opposants politiques… comme le Général de Gaulle en son temps ? Il y a donc un côté terriblement superficiel à se prononcer « pour ou contre » la déchéance de nationalité alors même que les contours de la mesure demeurent inconnus.

Enfin, étendre le principe de la déchéance aux mononationaux soulève évidemment le problème de la création d’apatrides, et enverrait une bien piètre image du « pays des Droits de l’Homme ». Il faut respecter l’esprit de nos engagements internationaux – au premier rang desquels la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Mieux distinguer nationalité et citoyenneté -disjonction existant dans le droit russe notamment – permettrait d’éviter cet écueil, en retirant les droits attachés à la citoyenneté sans créer d’apatrides.

Reste que l’essentiel est de renforcer l’attachement des Français à leur nationalité et aux valeurs qui soudent la République. C’est ce ciment qui est notre véritable force face au terrorisme. En ce sens, la charte des droits et devoirs du citoyen français que signent les personnes demandant leur naturalisation a une vraie valeur symbolique. Sans doute faut-il renforcer encore les initiatives permettant d’accroître ce sentiment d’appartenance et de civisme, et en particulier parmi les jeunes. A l’évidence, la Journée Défense et Citoyenneté n’y suffit pas et des dispositifs tels que la réserve citoyenne, devraient être davantage mobilisés en ce sens.