Déc 14 2005

Mariages forcés : il faut oser dire non !

logo_figaroTribune de Valérie Pécresse* et Patrick Bloche** parue dans Le Figaro no. 19086 du mercredi 14 décembre 2005, p. 16 :

L’Assemblée nationale est saisie d’une proposition de loi sur les violences conjugales, votée au Sénat. Or, la première des violences, n’est-ce pas celle que l’on exerce sur ses enfants lorsqu’on les prive de la liberté de se marier en les contraignant à une union non désirée ? Le Sénat l’a compris, puisqu’il a décidé, sur la proposition judicieuse de Joëlle Garriaud-Maylam, sénateur des Français de l’étranger, de relever l’âge minimum au mariage des filles de 15 à 18 ans pour protéger les adolescentes.

Alertés par le défenseur des enfants, Claire Brisset, les trente députés issus de toutes les familles politiques et réunis au sein de la mission parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant se sont mobilisés pour aller plus loin. Car la liberté d’aimer et de se marier est un droit fondamental de l’homme qui doit être affirmé sur le territoire de la République. C’est une liberté que les couples, et particulièrement les femmes, ont su arracher à la tradition, celle d’une culture patriarcale, où les parents décidaient « dans l’intérêt » de leurs enfants.

Cette liberté n’est pourtant pas garantie à chacun. Selon les associations qui ont décidé de lever l’omerta, des milliers de jeunes filles seraient chaque année données en mariage à des hommes qu’elles n’ont pas choisis. Des jeunes hommes seraient aussi concernés. Ces chiffres ne peuvent nous laisser indifférents. D’autant qu’ils contrastent violemment avec la petite vingtaine d’annulations de mariages prononcées l’an dernier par les tribunaux français.

La frontière entre mariages arrangés et mariages forcés est ténue mais elle existe : c’est celle du libre consentement. Lorsqu’il y a violence psychologique ou physique, le mariage doit pouvoir être dénoncé car il devient, selon les termes mêmes des Nations unies, une forme d’esclavage moderne.

Parce que nous travaillons depuis neuf mois sur la protection de l’enfance, parce que nous réfléchissons aux évolutions souhaitables du droit de la famille, nous devions nous saisir de cette atteinte à la liberté d’aimer et aux droits des femmes pour y apporter des réponses concrètes autour d’un triptyque : prévenir, éduquer, protéger.

Prévenir les mariages forcés, c’est d’abord relever l’âge minimal au mariage, car les mineures sont vulnérables en raison de leur immaturité, de leur grande dépendance à l’égard de leur famille et de leur incapacité juridique.

Mais au-delà, il est vraiment paradoxal de constater que la société française a instauré, à travers de nouvelles règles d’immigration posées en 2003, un contrôle de la réalité du consentement des époux beaucoup plus efficace pour lutter contre les mariages de complaisance – c’est-à-dire limiter l’immigration clandestine – que pour éviter les mariages forcés – c’est-à-dire garantir une liberté publique. Nous qui nous targuons d’être le pays des droits de l’homme !

C’est pourquoi nous proposons de donner désormais au ministère public, comme c’est le cas pour les mariages blancs, la possibilité de surseoir à la célébration d’un mariage, ou à la transcription de celui-ci en droit français s’il a été conclu à l’étranger, dès lors qu’il y a un doute sérieux sur la réalité du consentement d’un des époux. En effet, souvent, les situations sont dénoncées par des proches – le vrai « petit ami », les camarades de classe – et non par la victime elle-même, parfois envoyée dans le pays d’origine de sa famille où sera conclu le mariage. Il faut que la justice puisse agir.

Préalablement au mariage ou à sa transcription en droit français, une audition des futurs époux est aujourd’hui obligatoire, sauf lorsqu’elle n’apparaît pas nécessaire. Mais bien souvent, les officiers d’état civil ou les agents consulaires français sont débordés. Ils invoquent aussi l’impossibilité matérielle de procéder à l’audition conjointe des époux, lorsque l’un des deux réside à l’étranger. Nous proposons de donner toute sont efficacité à cette formalité : en permettant l’audition séparée des époux lorsqu’ils vivent dans deux pays différents, et qu’ils ne seront réunis que pour la célébration ; en déléguant la responsabilité de la première audition à des fonctionnaires, les officiers d’état civil n’intervenant que si les soupçons sont confirmés ; en permettant au procureur de refuser la célébration ou la transcription si les auditions n’ont pas été réalisées malgré la demande qui en a été faite.

Mais ces dispositifs de prévention seront inutiles s’ils ne sont pas complétés par des mesures d’éducation et de protection.

Education des jeunes mais aussi de leurs familles. Ainsi une sensibilisation aux règles républicaines du consentement au mariage devrait être assurée dans le cadre des cours d’instruction civique, car la loi sur ce point est parfois mal connue. Les jeunes filles savent qu’elles doivent dire oui, mais ignorent qu’un oui extorqué sous la contrainte n’est pas un véritable oui au regard de la loi, et qu’elles peuvent le contester devant le juge. C’est pourquoi nous voulons, à titre pédagogique, que la loi indique clairement que toute personne victime de pressions pour se marier peut demander la nullité de son union.

Ajoutons qu’il subsiste dans notre Code civil une disposition révélatrice de l’évolution des moeurs françaises à travers les siècles : celle qui dispose que « la crainte révérencielle des parents » n’est pas une cause de nullité d’un contrat… Il nous paraîtrait approprié qu’elle ne s’applique plus, à tout le moins, à l’institution du mariage.

Nous sommes, en revanche, opposés à la création d’une sanction pénale spécifique pour les mariages forcés. Parce que notre objectif est de libérer la parole et les actes de jeunes femmes qui risquent d’être conduites à couper les ponts avec leurs familles, voire à se dresser contre elles. C’est une décision suffisamment dramatique pour que ne s’y ajoute pas, comme le relève l’association Ni putes, ni soumises, la culpabilité de voir leurs parents condamnés par la justice. Bien souvent, les parents croient faire « le bien » de leurs enfants, et les enfants en sont conscients. C’est un vrai dilemme. Ils sont déchirés entre leurs désirs et le respect des traditions familiales. Ne faisons pas peser sur leurs épaules davantage de responsabilités. La formulation claire dans le Code civil de la nullité de tout mariage conclu sous la contrainte aura valeur d’interdit. Et un arsenal de sanctions bien suffisant existe en cas de violences graves, d’enlèvement ou de séquestration.

La loi ne pourra pas tout faire. Nous demandons au gouvernement que la protection des jeunes qui auront le courage de dire non soit mieux assurée, par les centres d’information aux droits des femmes, par des centres d’hébergement, par des mesures d’accompagnement personnalisées leur permettant la poursuite de leurs études ou la recherche d’un travail. Les comportements évolueront à leur rythme, lentement. Mais la République ne sera plus tacitement complice, faute d’avoir clairement posé les règles garantissant, sur son sol, la liberté d’aimer.

* Député UMP des Yvelines, rapporteur de la mission parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant.

** Député PS de Paris, président de la mission parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant.