Fév 11 2018

Faut-il vraiment dépenser autant pour rétablir le service national universel?

Tribune publiée par le Huffington Post :

Le Gouvernement va-t-il persister à rétablir un service national universel (SNU)? Déjà en mai dernier, les sénateurs Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner avaient pointé le coût faramineux de la mesure – jusqu’à 35 milliards d’euros sur le quinquennat. Cette fois, c’est un rapport commandé par Edouard Philippe auprès de cinq administrations qui émet d’importantes réserves sur la faisabilité de cette promesse de campagne, notamment en raison de son poids pour les finances publiques. Une dépense d’autant plus irresponsable que Bercy impose au Ministère des Armées des restrictions mettant en péril la capacité de défense de la France.

Si le service national a été suspendu, il y a plus de vingt ans, c’était en premier lieu à cause de son coût, déjà jugé insoutenable. Alors auditrice à l’IHEDN, je faisais partie de ceux qui contestaient vigoureusement sa suspension en raison du magnifique rôle social joué par l’Armée. Depuis, la réintroduction du « service » est une de ces idées chimériques, qui ne cesse de refleurir comme les marronniers, si ce n’est chaque année, au moins à chaque campagne électorale nationale. L’idée est certes séduisante, populaire, mais la posture irresponsable.

Le problème est loin de ne se résumer qu’à une équation budgétaire, comme le souligne d’ailleurs le rapport qui vient d’être rendu à Edouard Philippe. Il soulève aussi d’importants risques juridiques et serait une source majeure de désorganisation de multiples services, ne serait-ce que pour le simple encadrement des recrues. Il ajouterait au fardeau de l’Armée en lui imposant un rôle d’éducateur citoyen qu’elle n’a pas vocation à assurer seule.

Nous disposons déjà d’outils de promotion de l’esprit de défense auprès des jeunes: plutôt que de réinventer la roue, c’est sur cette base qu’il faut construire.

Il est grand temps de donner toute sa mesure au parcours citoyen qui commence par l’enseignement de la défense à l’école et s’achève avec la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Nous avons trop longtemps délaissé ces mesures et laissé s’éroder les JDC, en particulier à l’étranger où l’on a aujourd’hui décidé de les supprimer pour – là encore- « des raisons budgétaires » alors qu’elles ne coûtaient quasiment rien et qu’elles étaient particulièrement utiles aux jeunes binationaux. Retravailler sur le contenu, l’animation et la durée de cette formation courte et universelle à la citoyenneté serait certainement plus pertinent que de réinventer un nouveau dispositif, plus lourd, plus long et plus coûteux.

En parallèle, il faut aussi favoriser des engagements de plus longue durée, mais cela ne peut se faire que sur la base du volontariat. L’État n’a plus les moyens de financer un service obligatoire de plusieurs semaines voire plusieurs mois… et dans le marché de l’emploi actuel, retarder la transition études/emplois peut s’avérer destructeur pour de nombreux diplômés.

Là encore, des dispositifs existent déjà et ne demandent qu’à être renforcés. Les réserves civiles et militaires demeurent encore trop méconnues et ne font toujours pas l’objet d’un investissement suffisant de la part des pouvoirs publics, malgré le rapport que j’avais rendu en 2010 avec mon collègue Michel Boutant et la loi de 2011 qui en avait découlé. Elles véhiculent une vision intégrée et concrète de la citoyenneté, mêlant culture de l’esprit de défense et accomplissement professionnel. Ouvertes sans condition d’âge, elles permettent d’accueillir toutes les bonnes volontés, au moment de la vie où cela est le plus opportun.

Leur diversité permet aussi de proposer des missions correspondant à une large palette d’intérêts et de compétences, dans une vision globale de l’intérêt national, au-delà du seul champ militaire. Tel est le sens des trois amendements à la Loi de Programmation Militaire que j’avais fait adopter en 2015, visant à faciliter le recrutement dans la réserve citoyenne de citoyens très investis à l’étranger (comme les élus consulaires et chefs d’îlots), à élargir les missions au-delà du strict périmètre militaire (par exemple en faveur de la promotion des valeurs francophones) et à promouvoir la mise au service de notre défense nationale de compétences spécifiques. Nous avons notamment de plus en plus besoin d’appui dans des champs d’expertise pointus, notamment en matière de cybersécurité, mais aussi en matière linguistique, culturelle ou en sciences sociales.

Il faut définitivement effacer le stéréotype du réserviste mobilisé uniquement pour prendre les armes lorsqu’un conflit éclate sur le sol national. Les réserves, aujourd’hui, proposent un parcours de longue durée avec une formation et des spécialités reconnues, complémentaires à une vie professionnelle, dans des domaines variés. Le patriotisme qu’elles promeuvent n’est en rien belliqueux. Elles diffusent des valeurs et proposent un modèle de citoyenneté en actes, fondé sur un engagement concret.

Promouvoir les valeurs républicaines au sein de l’ensemble d’une classe d’âge et constituer un vivier de bonnes volontés et d’expertises au service de notre intérêt national ne sont-ils pas les deux principaux objectifs que l’on pourrait aujourd’hui assigner au SNU? Si tel est le cas, modernisons le parcours citoyen et les réserves, mobilisons largement tous les acteurs impliqués dans ces dispositifs – de l’armée aux entreprises en passant par le monde éducatif, communiquons sur leurs atouts, retravaillons les passerelles entre ces engagements et la vie universitaire et professionnelle, allouons-leur ne serait-ce qu’une infime fraction de l’enveloppe budgétaire prévue pour le SNU… Tirer parti des outils présents en les adaptant sera infiniment plus rapide et efficace que de réveiller le fantasme d’une mesure abandonnée il y a plus de 20 ans.