Mai 10 2005

Débat sur la gestion du patrimoine immobilier du ministère des affaires étrangères

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux raisons m’ont incitée à prendre part à ce débat sur la gestion immobilière du ministère des affaires étrangères.

La première est le fait que 90 % du parc immobilier de ce ministère se situe à l’étranger, de quoi intéresser, bien sûr, l’élue des Français de l’étranger que je suis.

La seconde raison est l’ampleur des difficultés auxquelles le ministère des affaires étrangères est confronté pour la gestion de ses investissements immobiliers hors de France, difficultés qui sont dues en grande partie au décalage croissant entre les besoins recensés par les postes à l’étranger et les crédits disponibles sur le titre V de son budget.

Les élus nationaux peuvent estimer, en effet, que les investissements réalisés dans nos postes et nos établissements à l’étranger sont un luxe, mais il faut bien comprendre que c’est l’image de la France qui est en jeu à travers ses représentations. Notre pays possède le deuxième réseau diplomatique et consulaire au monde, après celui des Etats-Unis. C’est un avantage, mais cela a aussi un coût. Toute la difficulté est de trouver le bon équilibre entre notre rayonnement et nos impératifs budgétaires.

Nous nous devons de rappeler que les critiques de la Cour des comptes portent essentiellement sur des opérations déjà anciennes. Il convient cependant d’en tenir compte, en assurant une programmation plus réaliste de nos opérations immobilières à l’étranger, en même temps qu’une meilleure coordination des différents intervenants.

Mais, au-delà de ces critiques, je voudrais profiter de ce débat, monsieur le ministre, pour vous manifester nos encouragements et vous dire combien nous sommes conscients de la difficulté de votre tâche dans un monde de plus en plus mouvant, où la rapidité de réaction nécessaire se marie mal avec des exigences budgétaires inévitablement contraignantes. Il faut souligner, à cet égard, les efforts déjà accomplis par le département sous l’autorité de votre prédécesseur, et que vous poursuivez excellemment. Nous disposons maintenant d’une liste précise de notre parc immobilier. C’est une base indispensable pour affronter le défi de rationalisation de nos implantations à l’étranger face aux changements géopolitiques et à l’intégration européenne.

Un contre-exemple de la nécessaire adaptation aux exigences géopolitiques serait l’abandon ou le report sine die du projet de notre nouvelle ambassade à Pékin, dont on a beaucoup parlé. Quand on sait l’importance stratégique de la Chine, un tel report ne serait-il pas un impair considérable ? La Cour des comptes a tort, me semble-t-il, de cibler le projet de campus diplomatique à Pékin et de l’inscrire dans son chapitre consacré aux « décisions insuffisamment fondées ».

On connaît, depuis plus de trente ans, la nécessité d’opérer un renforcement de notre présence diplomatique en Chine. A Paris, les Chinois ont créé un superbe centre culturel sur les quais de la Seine. Quelle image aurions-nous en Chine si nous continuions à différer la réalisation de ce projet, sans compter les surcoûts que cela générerait, bien évidemment, en termes d’immobilier ? Une bonne coordination et une meilleure maîtrise des programmes d’investissement permettraient sans doute de différer d’autres projets moins stratégiques.

En ce qui concerne notre réseau consulaire, l’effort de rationalisation est une oeuvre délicate et il faut bien comprendre la difficulté de l’exercice vis-à-vis de nos compatriotes expatriés. Chaque fois que l’on supprime un consulat, c’est comme si l’on supprimait une mairie en France.

Mme Hélène Luc. Absolument !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous pouvons imaginer l’émoi des Français en cas de disparition de leur mairie dans une ville comptant plusieurs milliers d’habitants.

Le consulat est le lieu de rattachement des Français de l’extérieur, qu’ils se trouvent dans l’espace européen ou en dehors. Un consulat, c’est aussi un centre de vote. (M. Michel Charasse s’exclame.) Or la réduction des implantations consulaires non seulement accentue les difficultés d’accès aux démarches administratives, mais aussi met des obstacles supplémentaires à la participation de nos compatriotes expatriés aux scrutins ; le référendum du 29 mai en est un exemple. Tant que nous n’aurons pas mis en place un système de vote électronique par Internet pour les Français de l’étranger, nous serons confrontés à ces difficultés.

Je ne nie pas qu’il soit nécessaire d’adapter notre réseau consulaire, notamment au sein de l’Union européenne, mais, à mon sens, il ne faudrait jamais opérer de suppression pure et simple de consulats sans que des solutions satisfaisantes aient été trouvées. Les fermetures ne se justifient que difficilement, même sur le territoire de l’Union européenne, dans la mesure où nos législations nationales, notamment en matière d’état civil, restent très éloignées.

Des regroupements avec nos partenaires européens pourraient d’ores et déjà être mis en oeuvre, notamment en matière de centres culturels et d’établissements d’enseignement. Du reste, cette exigence est de nature à faire avancer l’intégration européenne, que nous appelons de nos voeux. Encore faut-il que le département s’engage dans une démarche volontariste et travaille avec ses partenaires de l’Union pour remodeler les cartes consulaires dans l’intérêt de nos populations respectives. On parle beaucoup du couple franco-allemand. Comment cette entente se traduit-elle, monsieur le ministre, au moment où il est prévu de supprimer certains de nos consulats outre-Rhin ? Le ministère mène-t-il des négociations avec nos partenaires pour une coordination ou des regroupements en la matière ? A-t-on déjà déterminé les lieux où la France est la mieux placée pour prendre en charge les fonctions consulaires d’autres Etats membres et les lieux où ce sont nos partenaires qui seraient les mieux placés ? Lorsque l’on parle d’intégration européenne, c’est à ce travail qu’il faut bien sûr s’atteler. Monsieur le ministre, je ne voudrais pas, comme c’est apparemment le cas en matière de protection diplomatique et consulaire telle qu’elle est prévue au chapitre « citoyenneté » du traité de Maastricht, hors du territoire de l’Union, que ce soit systématiquement la France qui assume la charge de telles opérations.

S’agissant des établissements d’enseignement français à l’étranger, domaine où nous possédons aussi un réseau exceptionnel, on ne peut nier être confrontés aujourd’hui à une crise de croissance et d’adaptation, les moyens du ministère n’étant plus suffisants pour suivre les évolutions souhaitées. D’emblée, il faut rappeler que notre carte scolaire à l’étranger, comme cela est aussi le cas de beaucoup de nos alliances, a été dessinée au cours du dernier demi-siècle par des investissements privés provenant pour une très grande part de nos communautés françaises expatriées. Nos compatriotes se sont pris en charge pour assurer la scolarité française de leurs enfants et, par extension, nos établissements ont été ouverts aux nationaux des pays d’accueil, contribuant ainsi au rayonnement de la francophonie dans le monde.

Avec l’aide de l’Association nationale des écoles françaises à l’étranger, qui assure des prêts immobiliers avec la garantie de l’Etat, les établissements se sont implantés là où la communauté était importante et entreprenante. L’Etat s’est bien entendu substitué aux particuliers et, avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, a pris le relais s’agissant des investissements. Mais nous arrivons aujourd’hui à la croisée des chemins, car les communautés françaises se déplaçant d’un continent à l’autre et s’expatriant de plus en plus, il nous faut adapter ce réseau.

L’exemple du Mexique est une réussite. Les deux implantations à Mexico font du lycée franco-mexicain l’un des établissements les mieux adaptés aux besoins des Français expatriés et des Mexicains qui recherchent un enseignement de qualité. Malheureusement, le lycée ne peut accepter un grand nombre de candidatures de ces jeunes Mexicains, ce qui est un frein à la formation d’élites francophones et francophiles dans ce pays. Il nous faudrait pour cela pouvoir aider davantage le développement d’écoles annexes ; je pense en particulier à celles de Polanco et Cuernavaca.

A Londres, avec l’accroissement considérable, au cours des dernières années, des Français qui y sont implantés – leur nombre est estimé à 320 000, ce qui en fait la première ville française à l’étranger -, le lycée Charles-de-Gaulle, dont l’excellence est reconnue par tous, est devenu bien trop petit. Différentes pistes ont été envisagées au fil des ans et je vous serais infiniment reconnaissance si vous pouviez nous apporter des éléments d’informations à ce sujet.

Je me dois aussi, monsieur le ministre, de vous mettre en garde contre une rationalisation qui pourrait parfois se montrer excessive. Des exemples de démesure ont été donnés par notre excellent rapporteur Adrien Gouteyron. Mais je dois ajouter que trop souvent, dans le passé, nous avons vendu – je devrais dire « bradé », car ces biens ont été cédés à un prix très en dessous de celui du marché, et ce en dépit des appels à la prudence des élus des Français de l’étranger – des bâtiments de l’Etat qui émanaient parfois pourtant de dons de la communauté française.

En cas de modification de nos priorités, il serait à craindre, du fait de l’accroissement constant et quasi universel de l’immobilier, que nous ne puissions nous offrir de bâtiments dans des lieux appropriés à nos intérêts.

De nouveaux instruments juridiques ont été mis en place pour faciliter le financement des investissements de l’Etat ; je pense en particulier aux partenariats entre le public et le privé. Il s’agit là d’un dispositif que notre collègue André Ferrand préconise dans son rapport au Premier ministre pour la construction et l’entretien des établissements d’enseignement français à l’étranger.

Je souhaite vous interroger plus précisément, monsieur le ministre, sur la formule du crédit-bail, à laquelle ont eu recours, ces dernières années, plusieurs pays étrangers. Que pensez-vous de cette formule ? Envisagez-vous d’utiliser le crédit-bail pour certaines opérations menées par votre ministère ? Ce système offre en effet l’avantage de responsabiliser le concessionnaire privé du point de vue non seulement de la construction, mais aussi – là est tout l’intérêt de l’opération – du fonctionnement et de l’entretien des bâtiments.

En conclusion, et au-delà des points particuliers que je viens d’évoquer, je souhaite insister, au nom du groupe UMP, sur la nécessité d’assurer une véritable gestion dynamique et coordonnée du patrimoine de l’Etat.

Les dysfonctionnements constatés sur le terrain traduisent souvent l’absence d’une véritable vision stratégique. L’Etat doit adapter ses structures à l’évolution de ses missions, dans le nouveau contexte national et international. Cela concerne l’ensemble des ministères et des établissements publics.

La réforme budgétaire issue de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances vise à améliorer la gestion publique en responsabilisant les gestionnaires, en leur donnant plus de souplesse et en passant d’une logique de moyens à une logique de résultats. Cette logique d’efficacité et de performance doit s’imposer partout, y compris dans la gestion immobilière.

Les enjeux financiers sont importants, puisque la valeur des bureaux et des autres bâtiments résidentiels appartenant à l’Etat dépasse les 30 milliards d’euros et que les dépenses d’entretien et d’exploitation de son parc immobilier de bureaux s’élèvent, à elles seules, à environ 2 milliards d’euros chaque année.

L’Etat et les contribuables ont donc tout à gagner d’une rationalisation de la gestion de ce patrimoine immobilier. Celle-ci passe non seulement par une réorganisation des implantations et par la cession de certains actifs immobiliers, mais aussi par une responsabilisation des acteurs, sur le plan ministériel comme sur le plan interministériel.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a engagé un effort de modernisation, auquel le ministère des affaires étrangères contribue largement, ce dont nous vous remercions, monsieur le ministre. Soyez assuré que le groupe UMP sera très attentif à la poursuite et à l’amplification de cet effort, qui constitue l’un des éléments essentiels de la réforme de l’Etat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)