Sep 10 2012

Réforme de l’AFE – un consensus a minima

Malgré la belle unanimité avec laquelle a été votée par l’Assemblée des Français de l’étranger l’Avis préparé par la Commission des Lois sur la Réforme de la représentation des Français de l’étranger, cette semaine de débats sera loin d’avoir dissipé les inquiétudes. Car ce consensus n’a été acquis qu’au prix de l’acceptation préalable des cadres fixés par le gouvernement qui, me semble-t-il, sont trop rigides, voire trop réducteurs.

Ainsi, l’exigence de n’émettre des propositions qu’à budget constant est certes raisonnable en période de crise majeure, mais, comme le dit l’un de mes amis entrepreneurs « quand un projet est bon, on trouve toujours comment le financer ». Se lier les mains en refusant toute nouvelle dépense condamne à l’avance tout « investissement » dans un projet plus ambitieux. Pourtant, la récurrence d’une forte abstention parmi les Français de l’étranger appellerait à une vraie transformation des moyens, modalités et finalités de leur système de représentation institutionnelle.

Autre préalable imposé par le gouvernement : ne pas débattre du projet de « collectivité d’outre-frontière » (proposé il y a plusieurs années par mon excellent collègue Christian Cointat, que j’avais défendu devant Nicolas Sarkozy lors d’un débat télévisé en décembre 2006, et tout récemment repris par le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte).

Celui-ci est d’emblée écarté sous prétexte d’inconstitutionnalité. Un argument fallacieux, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler lors des débats de la commission des lois : le droit constitue un instrument indispensable à l’organisation de la vie publique, mis il n’est ni une fin en soi, ni un dogme immuable. Une révision constitutionnelle est toujours possible, à l’instar de celle de 2008 qui a permis la représentation des expatriés à l’Assemblée nationale. Et créer une « collectivité outre-frontière » prouverait au monde que la France, à l’heure où la mondialisation nous pousse à remettre en cause nos schémas traditionnels hérités des Traités de Westphalie, n’a rien perdu de ses capacités d’innovation juridique et constitutionnelle.

Membre moi-même de la commission des lois, j’ai participé aux journées de débats en commission, avant la présentation, le débat et le vote en plénière de l’avis de l’AFE, destiné à orienter le projet de réforme du gouvernement. Voici les principaux points de cet avis :

Transformation de l’AFE en assemblée ne comportant plus que des élus au suffrage universel et élisant en son sein son président. Les parlementaires en demeureraient membres de droit, avec voix consultative mais non délibérative. L’assemblée continuerait à se réunir en session plénière à Paris 2 fois par an.

Révision de la carte des circonscriptions électorales et extension du mode de scrutin proportionnel, sauf dans les cas qui nécessitent un scrutin majoritaire à un siège. Ce maintien de circonscriptions au scrutin majoritaire me semble particulièrement important, d’une part parce que je suis très attachée à ce mode de scrutin, le plus efficace en matière de responsabilisation de l’élu face à ses électeurs, mais aussi parce qu’il permet de garantir dans les circonscriptions concernées une meilleure représentation géographique des Français. Un effet pervers du scrutin à la proportionnelle est en effet qu’il pousse parfois les candidats à choisir leurs colistiers dans les zones comprenant le plus grand nombre d’électeurs, conduisant à une surreprésentation de quelques centres urbains, souvent proches des consulats, alors même que ce sont souvent les communautés plus éloignées des postes consulaires qui auraient le plus grand besoin d’élus.

Création de délégués consulaires. Ils seraient élus au suffrage universel, comme suivants de liste des conseillers AFE. Cela permettrait de doubler le collège électoral des sénateurs (ce qui est indispensable pour réduire les tentations clientélistes et donner une plus grande légitimité aux sénateurs) et d’améliorer les services de proximité aux Français de l’étranger, puisqu’ils seraient membres des comités consulaires de la circonscription électorale. Mais là encore se pose le problème de représentation géographique. Comment s’assurer véritablement de la constitution d’ un vrai maillage de la circonscription ?

Élargissement des prérogatives de l’AFE. L’AFE souhaitant être systématiquement consultée par le gouvernement dans les domaines de sa compétence, a demandé à ce que, dans l’article 1er de la loi du 7 juin 1982, l’expression « l’Assemblée des Français de l’étranger peut être consultée » soit remplacée par « l’Assemblée des Français de l’étranger est consultée ». Cette demande a le mérite de mettre l’accent sur la nécessité de mieux associer l’AFE aux décisions gouvernementales et de mieux mobiliser nos forces vives à l’étranger.

J’ai cependant un peu peur que ce point ne demeure assez longtemps un vœu pieux, l’application systématique de cette mesure nécessitant une profonde modification du fonctionnement de l’AFE et un renforcement assez considérable de ses moyens. Comment, avec seulement deux sessions par an, pouvoir effectuer un tel travail para-législatif dans des délais compatibles avec l’action gouvernementale ?

L’Avis demande également que l’AFE soit dotée du pouvoir de fixer les critères d’attribution et la répartition des bourses, des allocations d’aide sociale et des aides à l’emploi et à la formation professionnelle : une telle mesure renforcerait nettement les compétences de l’AFE et irait dans le sens d’une application des principes de la décentralisation à nos communautés expatriées. Cette réflexion sur l’approfondissement des compétences de l’AFE mériterait d’être encore poursuivie, car le nombre de Français bénéficiant directement des décisions de ces comités consulaires demeure limité : il serait légitime de prévoir des missions plus larges, telles que la participation systématique aux comités de sécurité, ou aux décisions relatives aux programmes FLAM. Sur ce dernier point la réponse du Ministère des Affaires étrangères va dans le mauvais sens, celui-ci réitérant le principe d’une instruction des dossiers par les seuls postes diplomatiques.

Au cours des débats, j’ai été frappée par ce qui m’a semblé être une vision « consumériste » des Français de l’étranger de la part de nos deux Ministres comme du Directeur de l’administration consulaire. De manière plus ou moins explicite, tous se sont employés à souligner que les préoccupations des Français de l’étranger étaient essentiellement « concrètes »… décrivant l’organisation des élections comme un lourd fardeau ayant empêché le Ministère de s’atteler à l’amélioration de services plus directement utiles aux expatriés et ce pour ne recueillir qu’un maigre taux de participation. L’idée sous-jacente (fortement répréhensible à mes yeux) est que, contrairement à leurs compatriotes de métropole, les Français de l’étranger ne voteraient pas en fonction de convictions politiques globales mais en fonction de leurs intérêts matériels catégoriels immédiats.

Au-delà du caractère réducteur d’une telle assertion, le problème n’est pas que philosophique, car cette perception ne peut qu’orienter la réforme de l’AFE. Si la priorité est d’améliorer l’efficacité des services consulaires, alors l’urgence doit être aux yeux du gouvernement la multiplication des délégués consulaires… et ceux-ci n’ont, à la limite, même pas à être élus, puisqu’ils agiraient en simples sous-traitants de l’administration dans les zones dépourvues de consulats. S’il me semble essentiels que les Français de l’étranger continuent à élire des élus de proximité et que ceux-ci aient l’occasion de se rencontrer et d’échanger avec les membres du gouvernement et de l’administration à Paris, c’est bien parce que ces élus sont le vecteur par lequel les Français de l’étranger se constituent en communauté politique (et non en simples « consommateurs » isolés de « services consulaires ») partageant une vision commune et désirant prendre toute sa place dans la vie politique nationale. Ce serait un comble que la France, pionnière mondiale pour la représentation institutionnelle de ses expatriés, recule sur ce plan l’année même du 30e anniversaire de la première réunion d’une Assemblée d’expatriés (alors CSFE) élue au suffrage universel !

Prochains rendez-vous pour poursuivre ce débat :

  • les états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat, les 4 et 5 octobre, et auxquels participeront des élus des Français de l’étranger
  • la discussion au Sénat et à l’Assemblée nationale du projet de loi sur la décentralisation, en décembre
  • la présentation par le gouvernement d’un projet de réforme de l’AFE devant le bureau de l’AFE, en décembre également.