Nov 08 2012

Commémoration le 19 mars de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (explications de vote)

Article 1er : « La République française institue une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. »

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mes chers collègues, le chef de l’État et le Premier ministre revendiquent la concertation comme marque de fabrique du Gouvernement. Or, aujourd’hui, que nous demande-t-on de faire ? Il s’agit d’adopter un texte sur lequel nos collègues députés n’auront pas leur mot à dire, puisque l’on présume qu’un vote vieux de dix ans est toujours valable, alors même que certains des députés ayant adopté ce texte en 2002 le voteront aujourd’hui de nouveau, cette fois en tant que sénateurs. C’est en particulier votre cas, cher Alain Néri. Je note votre persévérance à soutenir cette proposition de loi, quitte à passer de l’Assemblée nationale au Sénat et à laisser la commission des affaires étrangères pour rejoindre celle des affaires sociales.

Certes, je n’ai pas trouvé très convaincantes vos contorsions sémantiques, mais c’est surtout l’absence de consultation du monde combattant qui m’inquiète et me gêne. En 2003, la date du 5 décembre avait été retenue pour instituer une journée d’hommage, justement parce qu’elle était soutenue par une très large majorité d’associations d’anciens combattants, seules deux de ces dernières lui préférant la date du 19 mars, comme l’a opportunément rappelé Gérard Larcher.

Cette fois, la méthode inverse a été retenue, très certainement parce qu’une concertation plus large n’aurait pas permis de dégager de consensus ou même de simple majorité en faveur du 19 mars.

Alors que cette proposition de loi a été inscrite il y a plus d’un mois à l’ordre du jour, M. le rapporteur a jugé nécessaire de ne rencontrer que quatre associations parmi la quarantaine que compte le monde combattant. La FNACA et l’ARAC, les deux seules associations qui militent pour une commémoration nationale le 19 mars, comptent à peine plus de 300 000 membres, alors que les quarante autres associations qui s’y opposent représentent plus de 2 millions de familles. Je trouve vraiment scandaleux, indigne, que quatre auditions suffisent à légitimer une proposition de loi aussi clivante.

Oui, bien sûr, mes chers collègues, il y a eu un cessez-le-feu le 19 mars 1962 ; personne ne le conteste. Je peux même vous dire que certains d’entre nous, au sein du groupe UMP, ont déclaré vouloir approuver le choix de cette date, parce qu’ils se souviennent de la joie qu’ils ont alors ressentie. Qui ne se réjouirait qu’une guerre prenne fin ? Mais comment oser honorer nos morts à une date qui fut une journée de dupes, qui représente aujourd’hui encore une plaie béante pour des millions de personnes ? Comment oublier tous les morts qui ont suivi ? Comment oublier tous ces humbles, enlevés, suppliciés ? Comment oublier, surtout, tous ces harkis qui ont péri parce qu’ils croyaient en la France et envers qui nous avons une dette d’honneur ?

Monsieur le rapporteur, vous avez mentionné l’existence de rues du 19 mars 1962 et évoqué le Bachaga Boualem. Je veux dire la honte que j’ai ressentie quand une municipalité socialiste a débaptisé une rue qui portait son nom !

Pour moi, imposer cette date du 19 mars serait une nouvelle trahison, envers les rapatriés, envers les harkis, envers les associations combattantes, qui, dans leur majorité, sont contre le choix de cette date du 19 mars.

Vous avez déclaré qu’il fallait réconcilier le monde combattant et les Français : mais alors comment osez-vous proposer cette date ! Vous êtes en contradiction totale avec vous-même !

Vraiment, par égard pour le monde combattant, par égard pour la France, par égard pour notre assemblée, par respect pour toutes les victimes de la guerre d’Algérie, vous vous honoreriez, mes chers collègues, en refusant de défendre une telle proposition de loi !

« Article 2. Cette journée, ni fériée ni chômée, est fixée au 19 mars, jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie »

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Les journées mémorielles du 8 mai et du 11 novembre marquent la fin effective de deux terribles conflits. Elles sont ancrées dans notre mémoire collective comme un véritable moment de soulagement et comme des dates fondatrices pour la paix et la reconstruction. Par contraste, le 19 mars correspond à un arrêt unilatéral des combats du côté français et à l’intensification des exactions du FLN contre la population civile et les militaires français.

Déplacer au 19 mars la commémoration des victimes de la guerre d’Algérie revient à considérer que ce conflit s’est achevé le 19 mars 1962. C’est une injure faite à la mémoire des dizaines de milliers de victimes qui ont péri après cette date et pour lesquelles les accords d’Évian sont synonymes du début d’un massacre. Entre 1962 et 1964, plus de 500 soldats français ont été tués ; 80 % des victimes civiles de la guerre d’Algérie, tant harkis que pieds-noirs, ont péri après le 19 mars 1962.

Déplacer au 19 mars la commémoration des victimes de la guerre d’Algérie ouvre aussi la porte aux discriminations entre ceux qui ont combattu avant les accords d’Évian et ceux qui ont continué à servir la France après cette date. Des cartes d’ancien combattant ont d’ailleurs été accordées à des militaires en service en Algérie entre le 19 mars 1962 et le 2 juillet 1962. Vont-ils devoir les rendre, monsieur le ministre ?

Les accords d’Évian restent, dans de trop nombreuses familles françaises et algériennes, le point de départ d’une double faute des États français et algérien. S’il est sain qu’un travail d’historien continue d’être mené pour faire toute la lumière sur cette période, il est inopportun de « célébrer » ces accords.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais vous rappeler que le choix du 19 mars, présenté par Alain Néri comme plus cohérent sur le plan historique, ne concerne que l’Algérie et non la Tunisie et le Maroc, pourtant associés à cette journée d’hommage. Quid d’ailleurs des victimes de la guerre d’Indochine ?

Même en Algérie, c’est non pas le 19 mars, mais le 5 juillet 1962, date à laquelle des milliers de Français ont été massacrés à Oran, qui est officiellement considéré comme la date de fin de guerre, le 19 mars étant, pour les Algériens, la date de leur victoire. Comme cela a été rappelé et répété ce matin, il existe un timbre de la victoire algérienne du 19 mars. Serait-ce donc une défaite qu’il nous faudrait, nous, Français, célébrer en ce jour ?

Comme l’a si bien exprimé Gérard Longuet, lors de la cérémonie au quai Branly, le 5 décembre 2011, alors qu’il était ministre de la défense : « C’est précisément parce que [cette date] n’a pas de fondement historique précis que nous l’avons retenue car elle ne choquera pas les mémoires des familles si lourdement endeuillées et parfois encore si amères. C’est précisément parce qu’elle n’exalte pas ce qui fut une victoire pour les uns, un abandon pour les autres, qu’elle a pour vocation d’établir un lien entre les sensibilités. »

Mes chers collègues, pourquoi donc raviver aujourd’hui les clivages au sein de notre société, alors même qu’elle a, plus que jamais, besoin d’être rassemblée ?

Au-delà de ce débat de date, mon principal motif d’opposition à cet article et, de manière générale, à cette proposition de loi, tient au fait qu’ils tentent une nouvelle fois de nous enfermer dans un passé hautement polémique, au lieu de nous aider à nous appuyer sur une mémoire apaisée pour bâtir l’avenir.

À l’échelon franco-français, l’objectif affiché de la proposition de loi est « la reconnaissance symbolique que la troisième génération du feu, unie par son expérience commune et des souffrances partagées, a servi la Nation au même titre que les générations de 1914-1918 et de 1939-1945 ». Pour ce faire, quoi de plus efficace qu’une journée commémorative commune ? C’est bien ce qui a été décidé dans la loi du 28 février 2012, qui fixe au 11 novembre la journée au cours de laquelle nous rendons hommage à tous les « morts pour la France », d’hier et d’aujourd’hui, civils et militaires, y compris ceux qui sont décédés au cours du conflit en Algérie.

Après cette décision historique, à propos de laquelle je salue l’implication de notre collègue Marcel-Pierre Cléach, instituer une nouvelle journée commémorative indépendante, sans pour autant décider qu’elle soit chômée, comme le sont le 8 mai et le 11 novembre, reviendrait en fait à attribuer une moindre valeur et un moindre mérite à cette troisième génération du feu.

Une journée nationale de commémoration n’a de sens que si elle est l’occasion de diffuser un message clair et non équivoque sur les valeurs de notre République et de cimenter notre unité nationale. Elle ne doit pas servir à raviver les polémiques ou à verser dans une repentance excessive qui empêcherait de se tourner vers l’avenir.

Cette proposition de loi nous oblige à nous replonger dans un débat qui avait été réglé entre 2003 et 2005, sans qu’aucun élément historique nouveau justifie un tel réexamen. Je rappelle qu’en amont du décret du 26 septembre 2003 instituant cette journée nationale d’hommage le refus d’adopter la date du 19 mars et la préférence pour la date « neutre » du 5 décembre étaient le fruit des recommandations d’une commission regroupant les principales associations du monde combattant et présidée par l’historien Jean Favier. Ce choix avait été entériné par les parlementaires à l’occasion du vote de la loi du 23 février 2005.

Pourquoi devrions-nous la remettre en cause aujourd’hui ?

Explication de vote générale

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mes chers collègues, notre devoir, à nous, parlementaires, est de maintenir la cohésion sociale de notre nation, certainement pas de recréer artificiellement des divisions et des tensions qui n’ont pas lieu d’être. Un consensus avait été obtenu sur la date du 5 décembre. Les débats d’aujourd’hui prouvent que la date du 19 mars est polémique, qu’elle est clivante, alors même que c’est toute notre nation qui devrait se retrouver autour de telles dates.

Par ailleurs, trop de soupçons pèsent sur la procédure législative. Si vous teniez tant à cette proposition de loi, vous auriez dû à tout le moins l’amender pour pouvoir la soumettre à l’Assemblée nationale. Se pose une véritable question de constitutionnalité et de légitimité, que nous soumettrons, je l’ai déjà annoncé, au juge constitutionnel. En persévérant à priver l’Assemblée nationale de débats, vous ferez peser éternellement un soupçon d’illégitimité sur ce texte que vous prétendez pourtant capital. Une telle méthode n’est pas respectueuse du fonctionnement de notre démocratie et de notre Parlement.

Comme l’avait dit un de nos anciens Premiers ministres lors de la discussion d’une autre proposition de loi sur le droit de vote des étrangers, vous créez « un brouillage démocratique qui affaiblit la cohérence politique de nos institutions », ce qui « pose un problème au regard de la clarté démocratique ».

Sur le plan de nos liens avec l’Algérie, il me semble primordial de ne pas faire de la mémoire de la guerre l’alpha et l’oméga de notre relation bilatérale. L’histoire de nos deux pays est certes entachée de beaucoup de sang – l’assassinat des moines de Tibhirine en a été un nouvel épisode tragique –  mais il est indispensable de tourner la page et d’adopter une attitude constructive. Sinon, où s’arrêtera la surenchère ?

Monsieur le ministre délégué, votre affirmation selon laquelle la France ne céderait pas aux exigences de repentance m’a beaucoup frappée ; vous avez été très applaudi de notre côté de l’hémicycle, et j’espère vraiment que vous continuerez en ce sens, car nous avons trop souffert !

L’Algérie est toujours largement francophone et compte aujourd’hui près de 30 000 Français, dont de très nombreux double-nationaux. C’est dire si nos destinées sont liées. Plutôt que de nous appesantir sur un passé douloureux, tournons-nous davantage vers l’avenir. Développons nos relations commerciales, étoffons notre coopération culturelle, ouvrons des écoles, nouons un traité d’amitié, préalable indispensable à l’établissement d’un partenariat stratégique, rendu particulièrement urgent face aux menaces régionales, notamment à celles que fait peser Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Concentrons-nous sur les véritables enjeux au lieu de nous perdre en polémiques stériles et trop longtemps ressassées. Je doute fort que l’adoption d’une telle proposition de loi nous aide à faire progresser les négociations sur la sécurité au Sahel…

Oui, monsieur Fischer, nous avons besoin d’une date unique de recueillement à la mémoire de toutes les victimes, mais que ce ne soit pas une date qui marque l’intensification des exactions et des meurtres !

Au lieu d’ailleurs de perdre notre temps et de nous diviser pour instituer une date autre que celle, déjà choisie, du 5 décembre, ne ferions-nous pas mieux de nous préoccuper un peu plus des revendications légitimes de nos anciens combattants et de leurs associations ? Beaucoup se plaignent qu’il n’y ait pas de mesures nouvelles, pas de réponses aux demandes d’amélioration par ces associations pour les anciens combattants et pour leurs veuves dans le projet de budget. Ce serait un beaucoup plus beau combat, dans lequel nous pourrions nous engager ensemble.

Par respect pour la mémoire des victimes, si nombreuses après le 19 mars, en particulier des harkis, qui ont tellement souffert dans leur chair et tant donné pour la France, je trouve inconcevable d’adopter la présente proposition de loi. Je vous engage, mes chers collègues de la majorité, à examiner en votre âme et conscience – il en est encore temps ! – s’il vous faut voter un texte qui ne fait que créer de la division, et en créera encore, ou au contraire y renoncer dans l’intérêt de tous, pour la sérénité, pour notre pays et pour la mémoire de toutes ces victimes.